Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ception du mot. Cela concorde si peu avec le mépris des platoniciens pour le concret que nous ne devons pas nous étonner du refus de Scot Érigène d’admettre cette doctrine. Aristote n’appelle les espèces, substances, qu’en deuxième ligne ; et ce n’est que par l’intervention des espèces que le genre acquiert aussi la substantialité. Ainsi s’ouvrait, dès le début des études philosophiques, une source inépuisable de discussions scolaires ; toutefois la conception platonicienne (le réalisme, ainsi nommé parce que les universaux étaient regardés comme des choses, res), demeura prédominante et, pour ainsi dire, orthodoxe jusque vers la fin du moyen âge. C’est donc l’opposition la plus tranchée contre le matérialisme, produit par l’antiquité, qui a dominé, dès l’origine, le développement philosophique du moyen âge ; et, même dans les commencements du nominalisme, pendant plusieurs siècles, c’est à peine s’il se manifeste une tendance à prendre le concret pour point de départ qui puisse, jusqu’à un certain point, rappeler le souvenir du matérialisme. Toute cette époque est dominée par le mot, par l’objet pensé et par une ignorance absolue de la signification des phénomènes sensibles, qui passaient presque comme des visions fantastiques devant l’esprit, habitué aux miracles, des étudiants en théologie, plongés dans la méditation.

Ces idées se modifièrent de plus en plus ; car, vers le milieu du XIIe siècle, l’influence de philosophes arabes et juifs se fit sentir, et peu à peu se répandit une connaissance plus complète du système d’Aristote, grâce aux traductions d’abord de l’arabe, puis des originaux grecs conservés dans Byzance. En même temps, les principes de la métaphysique d’Aristote jetèrent des racines plus profondes et plus vigoureuses dans les esprits.

Or cette métaphysique a pour nous de l’importance à cause du rôle négatif qu’elle joue dans l’histoire du matérialisme ; elle nous fournit en outre des documents indispensables pour la critique de ce dernier système. Aujourd’hui, nous ne pour-