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par une contradiction manifeste, la ruse, la trahison et la cruauté contribuèrent à fonder l’État chrétien, la conviction que tous les hommes étaient également appelés à une existence supérieure n’en resta pas moins la base fondamentale de l’histoire des peuples modernes. « Ainsi, dit Schlosser, même l’erreur et la fourberie humaines devinrent les moyens par lesquels la divinité fit sortir une vie nouvelle des débris putréfiés de l’ancien monde (10). »

Il s’agit maintenant d’examiner quelle influence le principe chrétien complètement développé dut exercer sur le matérialisme. Dans cet examen, nous devrons tenir compte du judaïsme et surtout du mahométisme.

Ces trois religions ont un trait commun : le monothéisme. Pour le païen qui voit les dieux partout et s’habitue à regarder chaque phénomène de la nature comme une preuve de leur intervention continuelle, les difficultés, que rencontre sur son chemin l’explication matérialiste des choses, se comptent par milliers comme le nombre des divinités. Aussi, lorsqu’un savant a conçu la pensée grandiose que tout ce qui existe, existe en vertu de la nécessité, qu’il y a des lois auxquelles la matière immortelle est soumise, toute conciliation avec la religion devient impossible. On doit donc regarder presque comme insignifiante la tentative de médiation faite par Épicure : bien plus logiques étaient les philosophies qui niaient l’existence des dieux. Le monothéisme occupe, vis-à-vis de la science, une autre position. Nous avouons que, lui aussi, admet une conception grossière et matérielle, qui attribue à Dieu, assimilé à l’homme, une intervention particulière et locale dans chaque phénomène de la nature. Cela est d’autant plus vrai qu’ordinairement chaque homme ne pense qu’à soi et à ce qui l’entoure. L’idée de l’ubiquité reste, dans ce système, presque une vaine formule ; et l’on a de nouveau, en réalité, d’innombrables divinités, sous la réserve tacite qu’on peut toutes les considérer comme n’en formant qu’une seule.