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système la suppression de la crainte avilissante des dieux. L’antique mot romain religio, qui, malgré l’incertitude de son étymologie, n’en indique pas moins la dépendance et l’infériorité de l’homme à l’égard de la divinité, renfermait une idée que Lucrèce devait naturellement repousser avec énergie. Ainsi le poète invoque les dieux et attaque la religion, sans qu’on puisse, sous ce point de vue, découvrir dans son système l’ombre d’un doute ou d’une contradiction.

Après avoir montré comment, grâce aux recherches libres et audacieuses d’un Grec (Épicure et non Démocrite, que cependant Lucrèce célèbre aussi, mais dont il était plus éloigné), la religion, qui auparavant opprimait cruellement l’homme, a été renversée et foulée aux pieds, il se demande si la philosophie ne pourrait pas conduire l’homme à l’immoralité et au crime.

Il prouve qu’au contraire la religion fut la source des plus grandes atrocités, et que précisément la crainte insensée des peines éternelles poussait les hommes à sacrifier leur bonheur et leur tranquillité d’âme aux terreurs que leur inspiraient les devins (62).

Le poëte développe ensuite ce premier axiome : rien ne vient de rien. Cet axiome, que l’on prendrait aujourd’hui pour une donnée de l’expérience, était plutôt, conformément à l’état où se trouvaient alors les sciences, destiné a devenir, comme principe heuristique, la base de toute expérience scientifique. Celui qui se figure que quelque chose naît de rien peut, à chaque instant, voir confirmer son préjugé. Mais celui-la seulement, qui sera convaincu du contraire, possède un esprit propre aux recherches et découvrira les véritables causes des phénomènes. Voici comment cet axiome est démontré : si les choses pouvaient naître du néant, cette cause productrice serait illimitée d’après sa nature même, et tout pourrait résulter de tout. Des hommes alors sortiraient du sein de la mer et des poissons du sein de la terre ; aucun animal,