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Si le système aristotélique se dresse continuellement devant nous comme une puissance ennemie et nous empêche de tracer nettement une ligne de démarcation entre la science positive et la spéculation ; s’il reste toujours comme un modèle d’incohérence, comme un grand exemple à éviter, par la confusion qu’il établit entre la spéculation et l’expérience, par la prétention qu’il émet non seulement d’embrasser, mais encore de diriger en maître la science positive, nous devons avouer, d’un autre côté, que ce système est le modèle le plus parfait d’une conception du monde une et complète, que l’histoire nous ait présenté jusqu’à ce jour. Nous avons été forcé de diminuer la gloire d’Aristote comme savant ; mais il lui reste le mérite d’avoir réuni en lui l’ensemble des connaissances de son temps et d’en avoir fait un système complet. Ce gigantesque travail intellectuel nous offre, à côté des erreurs que nous devions signaler ici, dans toutes les branches de la science, des preuves nombreuses d’une pénétrante sagacité. D’ailleurs Aristote mérite une place d’honneur parmi les philosophes, ne fût-ce que comme créateur de la logique et si, par la complète fusion de celle-ci avec sa métaphysique, il diminua l’importance du service qu’il avait rendu à la science, il augmenta en revanche la force et le prestige de son système. Dans un édifice si solidement coordonné, les esprits peuvent se reposer et trouver un appui à une époque de fermentation et de surexcitation, alors que les débris de l’ancienne civilisation joints aux idées envahissantes d’une religion nouvelle faisaient naître dans les têtes des Occidentaux une agitation si intense, si tumultueuse, et un élan si fougueux vers des formes nouvelles. Comme nos ancêtres étaient calmes, heureux, au milieu du cercle étroit où les enfermait leur voûte céleste, dans son éternelle révolution autour de la terre immobile ! Quels tressaillements dut leur faire éprouver le souffle impétueux venant des profondeurs de l’immensité, lorsque Copernic déchira cette enveloppe fantastique !