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et qu’il est logique en considérant l’homme même et tous ses actes comme un cas spécial des lois générales de la nature ; mais nous avons reconnu aussi qu’un abîme éternel sépare l’homme objet des études empiriques, et l’homme, sujet, possédant la conscience immédiate de soi-même. Aussi revient-on toujours à se demander si, en partant de la conscience, l’on n’obtiendrait pas peut-être une conception du monde plus satisfaisante ; l’homme est entraîné de ce côté par une force secrète, si puissante que cent fois il se figure avoir réussi, alors que toutes les tentatives antérieures ont déjà été reconnues insuffisantes.

La philosophie aura sans doute fait un de ses progrès les plus importants le jour où l’on renoncera définitivement à ces tentatives ; mais cela n’arrivera jamais, si le besoin d’unité qu’éprouve la raison humaine ne trouve pas à se satisfaire en suivant une autre voie. Nous ne sommes pas organisés uniquement pour connaître, mais aussi pour faire de la poésie et construire des systèmes ; et quoique se défiant plus ou moins de la solidité définitive de l’édifice élevé par l’intelligence et les sens, l’humanité saluera toujours avec une joie nouvelle l’homme qui saura, d’une façon originale, profiter de tous les résultats de la culture de son temps, pour créer cette unité du monde et de la vie intellectuelle, qui est interdite à notre connaissance. Cette création ne fera, pour ainsi dire, qu’exprimer les aspirations d’une époque vers l’unité et la perfection, ce sera pourtant une œuvre grande et aussi utile, pour maintenir et alimenter notre vie intellectuelle, que l’œuvre de la science elle-même ; mais elle sera moins durable que cette dernière car les recherches qui conduisent aux théories toujours incomplètes de la science positive et aux vérités relatives qui constituent seules l’objet de notre connaissance, sont absolues par leur méthode, tandis que la conception spéculative de l’absolu ne peut revendiquer qu’une valeur relative, et n’exprime que les idées d’une époque.