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extérieur. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les sophistes passer de plus en plus de la philosophie à la politique, de la dialectique à la rhétorique ! Bien plus, chez Gorgias, la philosophie est déjà sciemment ravalée au simple rôle d’école préparatoire à la vie pratique.

Dans de pareilles conditions, il est tout naturel que la deuxième génération des sophistes n’ait pas montré la moindre tendance à développer la philosophie dans la voie des résultats acquis par Protagoras et n’ait pas su s’élever au principe du nominalisme et de l’empirisme modernes, en laissant de côté les généralités mythiques et transcendantes, que Platon fit prévaloir. Les jeunes sophistes ne se signalèrent au contraire qu’en exagérant effrontément le principe de l’arbitraire, en dépassant leurs maîtres par l’invention d’une théorie commode pour ceux qui exerçaient le pouvoir dans les États de la Grèce. La philosophie de Protagoras éprouva donc un mouvement rétrograde, les esprits sérieux et profonds ne se sentant plus attirés de ce côté-là.

Toutes ces variations de la pensée philosophique n’atteignaient sans doute pas, dans une égale mesure, le matérialisme grave et sévère de Démocrite ; nous avons vu que, si ce philosophe ne fonda pas d’école, il faut l’attribuer moins à ses tendances et à ses inclinations naturelles qu’au caractère de son époque. Et d’abord, le matérialisme, avec sa croyance aux atomes existant de toute éternité, était déjà dépassé par le sensualisme, qui n’admettait aucune chose en soi derrière le phénomène. Or, il aurait fallu faire un grand progrès, un progrès laissant bien loin derrière lui les résultats précités de la philosophie sensualiste, pour introduire de nouveau l’atome, comme idée nécessaire, dans un système encore inconnu, et conserver ainsi aux recherches physiques la base sur laquelle elles doivent reposer. Au reste, cette époque vit disparaître le goût pour les recherches objectives en général. Aussi pourrait-on presque regarder Aristote comme le véritable successeur de Démocrite ; il est vrai que