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est à ses côtés. Disons en passant que le commis est un vrai canadien-français, mais qui, dans sa position, est obligé de se servir de l’idiome britannique sous peine d’être souvent incompris de son maître ; qu’ils sont malheureux ceux qui vivent sous un même toit et qui ne peuvent se comprendre. Mais n’oublions pas que je suis arrivé chez l’épicier. Je puis parler maintenant, n’est-pas ? Dans quelle langue ? « Avant tout je suis canadien » ; c’est donc au commis que je m’adresse. — « Pouvez-vous me vendre une bouteille de whisky, une bouteille de gin, une bouteille de rhum et une bouteille de brandy. — Quel prix ? — Donnez-moi ce que vous avez de mieux. » Le propriétaire s’approche ; croyant avoir affaire à une nouvelle pratique, il veut savoir qui je suis ; déjà un énorme cahier est entre nous, et un instant j’ai cru que mon nom allait y être inscrit ; je passais à la postérité. Dans ce moment critique, que faire ? je recueille tout mon courage en détournant les yeux du formidable volume, et je jette au commis cette phrase qu’il s’empresse de traduire à son maître : « Je n’ai pas besoin de vous donner mon nom, je paye argent comptant. » Pendant que le commis fait semblant de s’empresser de trouver ce que je lui demande, le propriétaire, un crayon entre les doigts, fait des calculs. Le commis paraît toujours extrêmement occupé, je m’imagine que toutes ses pensées se dirigent vers un même but, qui est de satisfaire promptement à ma demande. Erreur profonde ! il est bien occupé ce commis, eh ! bien, il a encore le temps de se retourner vers son maître et de lui dire dans cette langue qu’il croit que j’ignore : Charge him the price !” Recommandation inutile. Le propriétaire me charge bon prix, je paye ; je quitte le maître et son commis en leur disant, mais en anglais cette fois, d’envoyer ces bouteilles à l’Université Laval. Jugez du désappointement du fameux duo en m’attendant parler anglais. — Quelques minutes après je commençais l’analyse du brandy. — Savez-vous ce que j’ai trouvé pour résultat ? J’ai trouvé que ce brandy n’était que du whisky additionné d’une assez grande quantité de sucre brûlé. Le whisky m’a coûté $0.20 la bouteille ; eh ! bien, en ajoutant un peu de mélasse ou de sucre brûlé à ce whisky on a une nouvelle boisson qu’on appelle brandy et qu’on paye $0.75 la bouteille. Voilà ce qu’on appelle faire du profit. Mais n’anticipons pas, nous parlerons du brandy en temps et lieu.

Un mot d’explication est ici nécessaire. Je constate des faits, j’avance que telle ou telle boisson est falsifiée ; mais c’est tout. Qui l’a falsifié cette boisson ? je n’en sais rien ; ainsi le brandy que j’ai analysé est évidemment frelaté, mais il ne s’ensuit pas qu’il a été falsifié chez l’épicier qui me l’a vendu ; cet épicier