Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.

existence indépendante de celle de la croyance, ce sentiment sera dépouillé bientôt de tout ce qui pourrait permettre de l’appeler moral.

En définitive la foi morale, telle que M. Rauh la définit, est essentiellement fragile et périssable[1]. Et toute la morale, si on l’entend comme fait M. Rauh, est fragile et périssable aussi. Mais la morale doit être assurée d’exister. Et M. Rauh en a bien l’intuition, puis qu’il la défend contre le danger qui la menace. Lorsqu’il qualifie de « morbide » la disposition à douter de la validité des croyances morales, que veut-il dire, sinon qu’il faut que de telles croyances subsistent, qu’il faut qu’il y ait une morale : seulement, parlant ainsi, il est inconséquent avec lui-même. Une foi est ou n’est pas : c’est une prétention singulière — et contre laquelle M. Rauh lui-même nous a mis en garde — que de vouloir établir qu’elle doit être. Pour être à l’abri de la critique dissolvante de la raison, il faut que la morale soit constituée par la raison.

Mais la doctrine de M. Rauh n’est pas tout entière « fidéiste », comme le feraient croire l’exposé et la discussion qu’on vient de lire. Une autre tendance s’y révèle qui est vraiment rationnelle. Ainsi M. Rauh parlera à diverses reprises du contrôle que la raison doit exercer sur le sentiment. Il déclare éprouver de l’inquiétude devant les hommes qui vivent certains principes sans les avoir jamais critiqués, qui élèvent ces principes immédiatement à l’absolu, qui sont capables

  1. Voir, dans le même sens, les remarques de Guyau (La morale anglaise contemporaine, Paris, Alcan, 5e éd., 1904, 2e partie, III, 2, § 1, pp. 294 sqq., et III, 4, § 1, pp 333 sqq.).