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dans le cas précédent — que je veuille avec persistance, et que les autres veuillent comme moi cette suppression de la misère ou de la criminalité.

Arrivons à la question capitale de ce débat. Passons des croyances morales particulières à la croyance morale fondamentale[1], à ce principe auquel la morale, ainsi qu’il a été dit dans le chapitre précédent, devrait soumettre toute la conduite. On proscrit la recherche d’un tel principe. Voyons les raisons que l’on invoque.

Il y a quelque chose d’absurde, dit-on, dans l’idée de ce que l’on appelle communément en philosophie la morale théorique[2] ; et cette absurdité serait manifestée par l’expression même dont on se sert. La morale en effet n’est pas théorique, elle est pratique ; elle vise à formuler des principes de conduite, des règles pour l’action : comment de telles règles, de tels principes

  1. La distinction entre la recherche des règles morales spéciales — s’il en est de telles — et celle du principe suprême de la conduite n’a pas été faite avec assez de soin par les auteurs dont nous nous occupons. M. Lévy-Bruhl, par exemple, divise les « morales théoriques » en trois catégories : celles qui veulent que l’ordre moral ait ses conditions nécessaires, sinon suffisantes, dans l’ordre naturel, celles qui veulent que ces deux ordres diffèrent d’une manière absolue, celles enfin qui donnent à la morale une forme analogue à celle des mathématiques, déduisant d’un petit nombre de définitions et d’axiomes, sans jamais recourir à l’expérience, toute une suite de théorèmes (1, § 3, pp. 15 sqq.) ; et au sujet des premières, il représente que la science de ce qui doit être, prétendant modifier la réalité psychologique et sociale, dépend de la connaissance scientifique de cette réalité ; qu’il est impossible de tenir pour souhaitable ou obligatoire ce que l’on sait être impraticable (p. 16). Cette remarque, comme d’autres encore qui la suivent, est on ne peut plus juste. Seulement M. Lévy-Bruhl ici ne considère que la recherche des règles morales spéciales ; son argumentation ne porte nullement contre l’autre recherche, celle du principe suprême de la conduite.
  2. Voir Lévy-Bruhl, 1 et passim, Simmel, 4, t. I, pp. 318 sqq., 7, t. II, pp. 409-410 et passim ; cf. encore Belot, La véracité, Revue de métaphysique, 1903, pp. 430-431, etc.