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Il ne faut pas dire seulement qu’entre un moment et l’autre de la durée des modifications de la réalité interviennent qui font que des règles, naguère valables, cessent d’être fondées ; il faut aller plus loin et dire que jamais deux cas concrets ne sont pareils l’un à l’autre, fût-ce dans un même moment de la durée, qu’il n’y a point, par suite, des règles morales universelles. Et ceci posé, il devient évident qu’on ne saurait rien concevoir d’immuable dans la morale que le principe où toute la morale est suspendue.

Mais cette question des règles morales que je viens de soulever est une question des plus intéressantes : arrêtons-nous y un instant.




La croyance à des règles morales spéciales qui s’appliqueraient à un nombre de cas indéfini, qui seraient des règles universelles, et qui, déduites ou non d’un principe plus haut, auraient en quelque sorte une valeur absolue, cette croyance est commune chez les philosophes. Elle a contribué, comme on a vu, à jeter Kant dans le formalisme ; si Kant ne veut pas d’une loi morale qui contiendrait une matière, c’est que tout principe matériel, pour lui, se ramène à l’amour-propre, fait appel aux penchants de notre nature : et ces penchants, qui nous portent à rechercher notre plaisir, nous déterminent à des actions qui varient d’un individu à l’autre, qui varient chez le même individu entre un moment et un autre[1]. Et d’autre part on peut dire aussi que la croyance

  1. Raison pratique, Ire partie, I, i, scolie du théorème 3 (pp. 44-46), scolie 2 du théorème 4 (p. 61).