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mer en lois pratiques la maxime de ne jamais essuyer une injure sans en tirer vengeance, celle d’augmenter ses ressources par tous les moyens sûrs, comme en s’appropriant des dépôts, celles qui permettraient de faire de faux témoignages, de mettre fin à sa vie, de regarder avec indifférence la misère d’autrui[1]. L’érection de telles maximes en lois pratiques, affirme Kant, implique contradiction. Ce n’est pas précisément cela. L’adoption de ces maximes va à l’encontre du désir que nous pouvons éprouver de voir la confiance régner entre les hommes, de voir le nombre des existences humaines se maintenir le plus élevé possible, ou la somme des souffrances se réduire au minimum. Mais le choix fait de ces fins, de préférence aux fins contraires, est arbitraire. Vous voulez que la quantité de vie qui existe dans l’univers se conserve ou s’accroisse : qu’est-ce qui m’interdit de vouloir la destruction de la vie ? qu’est-ce qui m’interdit, encore, de vouloir mon propre bonheur, sans me soucier aucunement de ce qui résultera pour les autres de cette recherche de mon avantage à laquelle je me livrerai ? Une justification serait nécessaire de ces fins matérielles que Kant adopte sans les poser expressément, sans se douter même qu’il les introduit dans ses déductions[2].

  1. Critique de la raison pratique, 1re partie, I, 1 (pp. 28, 44, 73-74), 2 (p. 122).
  2. A la synthèse qui a été dite, Kant en ajoute une autre, par laquelle il obtient l’idée de l’humanité fin en soi. On verra au chapitre suivant ce qu’il faut penser de cette idée en tant qu’elle propose un objet à notre activité, qu’elle représente une conception du bien. Sur la légitimité de la synthèse par laquelle Kant arrive à cette idée, je renvoie à la discussion de M. Fouillée (Critique des systèmes de morale contemporains, IV, III, 2).