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hédonistes modernes — cette préoccupation est fort peu apparente, au contraire, chez les hédonistes de l’antiquité — de passer du principe de l’utilité individuelle à celui de l’utilité générale, de faire de ce dernier, en définitive, la règle suprême de notre conduite.

Pour arriver à ce résultat, leur effort a tendu souvent à nous convaincre de l’identité de notre intérêt particulier avec l’intérêt général. Certains passages de Bentham donneraient à croire que pour lui cette identité pouvait être affirmée à priori : « si chaque homme, écrit-il, agissant avec connaissance de cause dans son intérêt individuel, obtenait la plus grande somme de bonheur possible, alors l’humanité arriverait à la suprême félicité » ; et ailleurs : « comment obtiendrait-on le bonheur de tous dans la plus grande proportion possible, si ce n’est à la condition que chacun en obtiendra pour lui-même la plus grande quantité possible ? »[1] Ces raisonnements semblent impliquer l’idée que les intérêts individuels sont complètement indépendants les uns des autres, que jamais le plaisir obtenu par l’un n’est enlevé à un autre : mais une telle conception est démentie par l’observation la plus familière.

On a enseigné encore que les intérêts individuels étaient unis par un lien de solidarité, que la recherche par un individu de son avantage propre était profitable en même temps aux autres membres de la société : cette thèse a été soutenue par les physiocrates au xviiie siècle, par les économistes de l’école de Manchester et par Spencer au xixe siècle[2]. Mais la thèse, le dogme, on voudrait

  1. Déontologie, 1 (trad. fr., Paris, Charpentier, 1834, t. I, pp. 19, 26).
  2. Le point de vue de Spencer n’est pas le même que celui des écono-