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conscience soit une multiplicité, assure du moins que cette multiplicité est d’une espèce toute particulière, qu’elle n’a rien de commun avec la multiplicité spatiale, et qu’on ne peut pas séparer les états de conscience, les nombrer.

La démonstration que M. Bergson fournit de cette nouvelle thèse, pour si engageante qu’elle soit, ne me semble pas plus convaincante que celle qui a été discutée plus haut. On ne compte des objets, dit M. Bergson, que dans l’espace : si on ne fait pas abstraction, en effet, de leurs différences, on ne les compte pas, on les perçoit simultanément ; fait-on abstraction des différences individuelles ? alors sans doute on compte, mais on cesse de distinguer les objets, on juxtapose les représentations successives ; et une telle juxtaposition ne peut être opérée que dans l’espace[1]. À quoi l’on peut répondre : est-il donc impossible, considérant une multiplicité d’objets, d’apercevoir à la fois leur identité essentielle — ce qui est nécessaire pour les compter — et les différences qui donnent à chacun d’eux son individualité ? Si cela n’est pas impossible, si, comme il me paraît, les choses se passent bien ainsi, tout l’argument de M. Bergson tombe. Il ne sera plus besoin de juxtaposer les unités dans l’espace pour les compter : les unités spatiales elles-mêmes pourront être nombrées en dehors de l’espace ; et la catégorie du nombre s’appliquera aux phénomènes psychologiques comme aux choses matérielles.

Tout ce qui demeure, en définitive, de la théorie de M. Bergson, c’est que les états que l’on distingue dans

  1. Données immédiates de la conscience, II, pp. 57-59.