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de la représentation anticipée de leurs joies futures qu’ils n’en goûteront quand ces joies deviendront présentes.

2° Le deuxième des éléments qui composent l’utilité des biens est représenté par le plaisir que nous nous procurons ou la peine que nous nous évitons dans le moment — ou dans la suite de moments — où nous en jouissons. C’est là, normalement, l’élément principal de l’utilité ; c’est aussi, bien souvent, le seul que les hommes considèrent quand ils ont à apprécier des biens.

3° La jouissance des biens ne nous affecte pas seulement sur l’heure : elle entraîne par la suite des conséquences qui augmenteront ou qui diminueront notre bonheur. Ces conséquences peuvent être beaucoup plus importantes, dans certains cas, que les effets instantanés de la jouissance. Il est à remarquer, cependant, que les hommes souvent ne s’en inquiètent guère.

4° Il y a un autre élément de l’utilité des biens : c’est le plaisir ou la peine que nous donne le souvenir — celui du plaisir anticipal, celui des conséquences de la « consommation », et surtout celui de la « consommation » elle-même —. Cet élément sera un plaisir ou une peine, et il aura plus ou moins d’importance, selon les cas. Il faut tenir compte ici de la vivacité plus ou moins grande du souvenir — laquelle dépend entre autres choses des qualités de la mémoire chez les personnes considérées — ; il faut tenir compte des caractères différents des individus ; il faut tenir compte enfin des circonstances particulières de chaque moment — c’est ainsi que le souvenir des joies passées afflige à l’ordinaire ceux qui sont tombés dans le malheur —[1].

40. La décroissance de l’utilité. — L’utilité des biens, en règle générale, va diminuant de plus en plus à mesure qu’augmente la quantité que nous en possédons. C’est là la loi de la décroissance de l’utilité[2].

La loi de l’utilité décroissante des biens correspond à ce qu’on appelle souvent la loi de satiabilité des besoins. Le plaisir que nous éprouvons — ou le soulagement — est à l’ordinaire de moins en moins intense, relativement, à mesure que nous employons à la satisfaction d’un besoin donné des quantités plus grandes de biens. La consommation d’une certaine quantité d’aliments représente pour nous une nécessité ; une quantité égale que nous consommerons en sus ne nous procurera que peu de

  1. …Nessun maggior dolore
    Che ricordarsi del tempo felice
    Nella miseria…
    (Dante, Enfer, V, 121-3.)
  2. Voir Wieser, Der natürliche Werth (1889), liv. 1, chap. 2 à 5, Pantaleoni, Principii, première partie, chap. 4, § 3 et passim, H. Stanley Jevons, Essays on economics, III.