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d’usage ». Cette expression a été beaucoup employée par les économistes français. Et s’il est vrai qu’ils ne l’ont pas toujours prise dans le sens que nous voulons lui donner — ils ont souvent, en effet, désigné par elle l’utilité —, il reste que rien ne nous interdit de lui donner ce sens.

39. Les éléments de l’utilité. — La valeur d’usage d’un objet pour un individu correspond au cas que cet individu fait de cet objet ; et cette valeur d’usage peut être quelque chose de différent de l’utilité. Mais sur la différence qui peut exister entre ces deux notions nous nous réservons de revenir[1] : pour l’instant, nous la négligerons, ou plutôt nous reléguerons au second plan la notion de la valeur d’usage pour donner avant tout notre attention à celle de l’utilité.

Qu’est-ce qui compose l’utilité des biens ? Si nous nous attachons, comme il convient, aux biens directs, nous avons ici quatre éléments qu’il faut séparer soigneusement.

1° Le premier élément de l’utilité, dans l’ordre chronologique, c’est ce que nous appellerons l’élément anticipai — cet élément, bien entendu, ne se rencontre que lorsque la perception de l’utilité des biens n’est pas strictement enfermée dans le présent —. La pensée que nous pourrons dans l’avenir nous procurer des plaisirs ou nous éviter des peines nous procure dès le présent du plaisir. On ne voit d’exception à faire que pour certains caractères particulièrement impatients, lesquels souffrent, parfois, de ne /mis voir venir assez vite les plaisirs qui leur sont promis.

Tel est le plaisir anticipal. Il faut se garder, à propos de lui, d’une con fusion où plusieurs auteurs sont tombés[2]. Le plaisir anticipal n’est pas la même chose que l’utilité prospective, c’est-à-dire que l’estimation qu’on fait d’une utilité future. Soit un individu qui songe à faire un voyage, et qui est obligé, pour l’entreprendre, d’attendre un an. Notre individu, plutôt que de mettre de l’argent de côté pour ce voyage, aimera mieux peut-être se procurer tel plaisir immédiat, encore que ce plaisir doive être moindre que ne serait celui du voyage. C’est que le voyage, s’il doit avoir quand on le fera une utilité égale à 1.000, a une utilité prospective qui ne s’élève qu’à 950, par exemple. Mais le plaisir anticipai est une tout autre chose : c’est le plaisir — présent — qu’on goûte à penser par avance à tout ce que l’on verra. Et ce plaisir — ou plutôt la somme des plaisirs anticipaux qu’on goûtera jusqu’au moment de partir — sera égal à 5, à 50, à 200 selon qu’on aura plus ou moins d’imagination. Il y a des gens chez qui il sera à peu près nul. Il s’en trouve aussi qui retirent plus de plaisir

  1. Voir aux §§ 60 et 63.
  2. Stanley Jevons, par exemple, Sax, et encore H. Stanley Jevons (voir les Essays on economics, II, notamment pp. 63-64). La confusion a été dénoncée par Böhm-Bawerk (Positive Theorie des Capitales, liv. III, III, pp. 251-3, note).