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3. L’utilité des biens en général[1].

38. Utilité et valeur d’usage. — Les économistes disent pour la plupart que les biens, en tant qu’ils satisfont nos besoins, nous sont utiles. Mais quand ils parlent ainsi, ils prennent le mot « utile » dans un sens différent de ceux que le langage usuel lui donne[2].

Dans l’usage ordinaire de la langue, le mot « utile » s’oppose souvent à des mots comme « agréable ». Il y a ainsi des meubles qui sont utiles : les lits, les chaises, etc. ; d’autres, au contraire, ne sont pas regardés comme utiles, bien que pour telle ou telle raison — de luxe, par exemple, ou d’esthétique — nous soyons heureux de les posséder ; il y a des connaissances utiles — celles qui nous aident à gagner notre vie —, et d’autres qui ne le sont pas — celles qui servent seulement à « orner » l’esprit, comme on dit —.

Le mot « utile » a encore, dans le langage familier, un autre sens, qui est plus large. Dans ce deuxième sens, on appelle utiles toutes les choses qui nous font du bien, qui nous procurent, à tout considérer, plus de plaisir qu’elles ne nous causent de peine. « Utile », ici, s’oppose à « nuisible ».

C’est le dernier sens qu’on peut regarder comme le sens véritable du mot « utile ». Or on sait qu’il est des biens qui sont nuisibles : l’alcool, par exemple, ou le tabac. Il faut donc renoncer à se servir du mot « utilité » pour désigner la propriété qu’ont les biens de satisfaire nos besoins, le fait que nous les désirons.

Quel mot, quelle expression mettrons-nous à la place du mot « utilité » ? Pareto a créé le mot « ophélimité »[3]. Mais ce mot a le tort d’avoir une racine d’où aucun autre mot n’a été tiré jusqu’ici — c’est sans doute ce qui a empêché qu’on l’adopte —. Et on peut aussi reprocher au mot « ophélimité » d’avoir, par son étymologie, une signification exactement pareille à celle du mot « utilité ». Le mot « désirabilité », que l’on trouve chez Gide, et chez d’autres, a le mérite d’être apparenté à des mots connus ; le choix de sa racine, en outre, le rend plus propre à exprimer l’idée qui nous occupe. Malheureusement, ce mot nous fait penser à ce que nous devons désirer, plutôt qu’à ce que nous désirons effectivement.

Le mieux, en définitive, est de se servir de l’expression « valeur

  1. Voir, à propos de cet article, les Essays on economics, par H. Stanley Jevons (Londres, Macmillan, 1905), II et III.
  2. Voir Valenti, Principii di scienza economica, § 27, et Fisher, Capital and income, chap. 3, § 2.
  3. Du grec ὠφέλιμος, utile.