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présentait l’attente d’un enrichissement, de l’acquisition d’une certaine quantité de biens, mais qu’elle n’était point par elle-même une richesse, un bien. Mais il est clair que cet argument, s’il était valable, s’applique rait également à toutes ces choses qui ne sont point utiles par elles-mêmes, mais seulement par ce qu’elles nous permettent de produire ou d’acquérir. L’industriel qui achète des machines achète en elles l’espérance d’un gain qu’il réalisera plus tard ; et cette espérance peut être déçue tout aussi bien que celle du commerçant qui a acheté une clientèle.

On a dit encore que si les créances étaient regardées comme des biens, on arriverait à ce résultat inadmissible qu’une nation deviendrait plus riche quand les prêts — aux particuliers ou à l’État — y seraient plus nombreux. Mais la conséquence ne s’impose nullement. Une créance est un bien pour celui qui la possède ; à ce bien positif correspond nécessaire ment chez le débiteur ce que nous appellerons un bien négatif. Et quand on voudra faire la somme des biens du créancier et de ceux du débiteur, il est trop clair que le bien positif et le bien négatif correspondant se compenseront.

La question des biens immatériels ne se pose pas seulement à propos des droits et des relations : cette question se pose également à propos des services.

On sait ce que la langue française désigne par le mot « service ». Un service, c’est une action qu’un individu accomplit et dont un autre individu retire un avantage quelconque. Le médecin nous fournit un service quand il nous donne une consultation, le chanteur quand il chante un air devant nous ; l’ouvrier fournit un service au patron quand il exécute les travaux, quels qu’ils soient, dont celui-ci le charge, etc. Les services ne consistent pas toujours, au reste, en des actions positives ; un service peut consister aussi bien en une abstention : ainsi un industriel fournira un service à un autre industriel — il semble du moins que l’on peut parler ainsi — s’il s’abstient de certains actes qui feraient du tort à ce dernier, et que le droit lui permet d’accomplir.

Les services sont-ils des biens ? On le nie souvent, mais à tort[1]. Toutefois, pour réfuter cette opinion, il n’est pas besoin de noter[2] que les services de nos semblables, souvent, nous sont indispensables, et que les

  1. « Personne ne dirait, assure Supino (Principii di economia politica, Naples, Pierro, 2e éd., 1905, liv. I, chap. 2. p. 36), que la prospérité matérielle d’un pays est diminuée par l’émigration d’un millier de domestiques, de courtisanes, de musiciens, d’acteurs, voire même d’avocats, de professeurs ou de médecins ». Cette assertion emprunte une certaine apparence de vérité à l’équivoque qui est dans le mot « prospérité ». Voir plus loin, au § 38, ce que nous dirons de l’ « utilité » économique.
  2. Cf. Wagner, Grundlegung, § 121 (trad. fr., t. 1).