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cet individu de pouvoir dépenser. Et dans ce cas nous dirons que les besoins de notre individu se sont accrus.

Ainsi l’on dit que les besoins des hommes deviennent plus étendus quand une même dépense leur évite moins de souffrance, ou leur procure plus de plaisir. Et dans ce sens, cette multiplication, ce raffinement des besoins dont nous parlions tantôt augmente nos besoins — pour employer l’expression courante — en deux manières à la fois : d’une part, nous souffrons d’un nombre toujours plus grand de choses, et nous souffrons plus vivement ; d’autre part, la variété des plaisirs que nous sommes aptes à goûter devient toujours plus grande, et certains tout au moins de nos plaisirs deviennent toujours plus vifs.

2° Mais il est un autre point de vue où l’on peut se placer pour parler de l’étendue plus ou moins grande des besoins. On peut penser, quand on emploie de pareilles expressions, à l’état du contentement, qui est l’état de l’être dont tous les désirs sont satisfaits, et considérer alors, soit le total des plaisirs que ce contentement implique, soit plutôt encore le total des dé penses qu’il est nécessaire de s’imposer pour parvenir au contentement. Ici donc on prétend faire, d’une certaine manière, la somme des besoins. Et c’est alors une question de savoir — quand on considère dans les be soins les dépenses qui sont requises pour les satisfaire — si cette somme est ou non infinie.

À cette question, les économistes classiques répondaient volontiers par l’affirmative ; mais une réaction s’est produite contre cette conception, et la nécessité est apparue d’établir ici des distinctions.

Les hommes des sociétés primitives étaient ainsi faits, dit-on, et quantité de sauvages d’aujourd’hui sont ainsi faits qu’ils arrivent assez vile à satisfaire toutes les exigences, toutes les aspirations de leur nature. C’est un fait bien connu que dans certaines colonies des nations européennes on ne peut pas obtenir des indigènes, par la promesse d’un salaire, qu’ils s’astreignent à travailler ; ou bien si les indigènes acceptent de travailler, ils ne le font que pendant peu de temps : dès qu’ils ont amassé un peu d’argent, ils s’arrêtent. Et l’on interprète communément ce fait en disant que ce peu d’argent leur suffit pour se procurer tout ce qu’ils désirent. Peut-être toutefois l’interprétation est-elle un peu téméraire. Il n’est pas interdit de penser que nos indigènes ont des désirs encore par delà ceux dont ils s’assurent la réalisation ; mais ces désirs ne sont pas assez forts, et leur paresse est trop grande pour que, au taux où leur travail leur est payé, ils trouvent avantage, ou qu’ils se résolvent à travailler plus qu’ils ne font.

Dans les sociétés civilisées, l’état du contentement ne sera jamais atteint, sauf peut-être par quelques sages. Nos désirs sont trop nombreux, souvent, pour pouvoir être tous satisfaits. D’autre part, certains des désirs des hommes civilisés sont tels de leur nature qu’ils ne sauraient guère