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coup de gens : mais c’est simplement, à l’ordinaire, que ces gens ne sont pas familiarisés avec les notations mathématiques. L’économique mathématique, d’autre part, a une histoire assez longue déjà ; elle a été représentée depuis le temps de Cournot, qui peut en être regardé comme le fondateur, et elle est représentée aujourd’hui encore par un grand nombre d’hommes distingués ou même éminents[1]. Il est donc nécessaire que nous nous occupions d’elle.

Les partisans de l’économique mathématique font valoir, à l’appui de leur conception, un argument qui ne peut pas manquer de faire impression. Les mathématiques, disent-ils, sont les sciences de la quantité. Par tout où l’on se trouvera en présence de phénomènes quantitativement déterminés, il y aura lieu d’appliquer ces sciences. La physique, la chimie font des mathématiques un usage de plus en plus étendu parce que les phénomènes qu’elles étudient, après avoir été regardés longtemps comme purement qualitatifs, apparaissent de plus en plus comme se prêtant à la mesure par tel ou tel côté. Or les phénomènes économiques sont essentiellement mesurables : l’économiste devra donc, plus encore que le physicien ou le chimiste, être en même temps mathématicien.

Ce raisonnement est à coup sûr très spécieux, et la conclusion à laquelle il aboutit contient une grande part de vérité. Quelques remarques cependant sont nécessaires pour indiquer certain danger que présente l’emploi des mathématiques dans l’économique, et pour préciser l’utilité de cet emploi.

1° Les mathématiques inclinent les économistes qui en usent vers cette illusion de croire que la rigueur des démonstrations qu’ils développent est tout ce qui est requis pour arriver à la vérité. Mais ce qui importe le plus, toujours, c’est de bien poser les problèmes, de ne laisser s’introduire dans les hypothèses ni notion confuse, ni donnée fausse, et d’introduire dans ces hypothèses toutes les données qui méritent d’y figurer. Certains économistes[2], étudiant les problèmes de la monnaie à l’aide des mathématiques, ont admis sans discussion les idées reçues sur la monnaie, l’assimilation de la monnaie aux marchandises, etc. ; par là ils se sont condamnés à tomber dans toutes les erreurs de leurs prédécesseurs.

  1. On trouvera une bibliographie sommaire de l’économique mathématique chez Wagner, Grundlegung, § 68 (tr. fr., t. I) et une bibliographie plus complote, établie par Fisher, à la suite de la trad. anglaise de Cournot parue à Boston en 1897.
    Les plus anciens représentants de l’économique mathématique, si nous ne voulons pas remonter jusqu’à Daniel Bernouilli (De mensura sortis, 1738) sont Cournot (Principes mathématiques de la théorie des richesses, 1838), Dupuit et Gossen. Mais l’économique mathématique n’a commencé à attirer l’attention qu’avec Jevons (Theory of political economy, 1871) et Walras (Éléments d’économie politique pure, 1874-1877). Aujourd’hui les économistes mathématiciens les plus réputés sont, avec Walras, Marshall, Edgeworth, Fisher, Pantaleoni, Pareto.
  2. Walras par exemple.