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pas de ce même jeu de forces qui, mécaniquement en quelque sorte, règle sur un marché les prix des denrées. Des facteurs d’un tout autre ordre interviendraient ici. Voulons-nous expliquer ces parts du revenu social qu’enlèvent, respectivement, les ouvriers et les capitalistes ? Pour com prendre l’inégalité si grande qui existe entre la condition moyenne des uns et la condition moyenne des autres, il ne suffit pas de recourir à des considérations comme celles du nombre des ouvriers, de la « productivité » de la main-d’œuvre, de la quantité des capitaux employés, bref, à ces considérations qui déterminent ce qu’on appelle commodément l’offre et la demande de travail. L’inégalité sociale ne saurait être expliquée que par des facteurs tout autres : elle tient à ce que des préjugés aristocratiques ont cours, à ce que ceux-là mêmes qui ont à souffrir de l’inégalité ne conçoivent pas, pour la plupart, qu’un autre régime puisse exister que celui auquel ils sont accoutumés, à ce qu’ils ne sont pas convaincus vraiment qu’une distribution plus égale doive et puisse à la fois être introduite.

Il faut bien comprendre la signification de cette thèse que nous venons d’indiquer. Quand ses partisans affirment que la théorie de la valeur ne saurait rendre compte des phénomènes de la distribution, leur pensée est que ces phénomènes ne peuvent pas être expliqués par une certaine théorie de la valeur, ou si l’on veut par une certaine sorte de théories de la valeur. Ce qu’ils demandent, c’est qu’il y ait deux théories de la valeur, une qui se vérifiera pour les marchandises, et une qui régira, par exemple, les salaires.

Mais voici une obscurité — et peut-être une confusion — que l’on trouve dans la thèse qui nous occupe. On nous dit que l’inégalité des conditions résulte du consentement de ceux qui reçoivent la plus petite part ; veut-on dire par là que ce consentement, que les préjugés aristocratiques régnants sont la cause, ou qu’ils sont une condition de l’inégalité ? Entendue dans le deuxième sens, la proposition serait acceptable. Supposons que les ouvriers, que la majorité des hommes vienne à se persuader que le régime actuel est mauvais, que ce régime doit être changé, et qu’on peut le changer. Alors il pourra se faire qu’il soit changé en effet. Il pourra être changé, si on abolit la propriété individuelle des moyens de production. Il pourra être changé encore si, la propriété individuelle subsistant, la fixation des salaires cesse de se faire, comme on dit souvent, librement, si par exemple l’autorité intervient, d’une façon ou de l’autre, dans l’établissement de ces salaires, ou peut-être même si la coalition des ouvriers met les employeurs dans l’alternative, soit d’abandonner leur production, soit de payer les salaires qu’on exige d’eux.

Il semble bien, toutefois, qu’on aille plus loin. Ce que l’on soutient, c’est que nos institutions actuelles subsistant, les salaires continuant d’être