Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il y aura plus à faire aussi pour constater l’importance relative des différents facteurs dont on aura dû étudier l’action.

Au total, le rôle de la déduction dans la science économique sera très considérable. Il sera plus considérable sans doute que celui de l’induction, à laquelle on a coutume de l’opposer. Comment se fait-il dès lors que tant d’économistes, sans la proscrire catégoriquement[1], aient montré du moins à son égard tant de défiance ?

Cette défiance à l’égard de la déduction tient tout d’abord à ce que souvent la déduction, par la façon dont elle opère ses abstractions, donne à celles-ci une apparence arbitraire. La déduction, pour étudier l’action de certains facteurs, pour déterminer ce qui se produira quand telles conditions se rencontreront, suppose que ces facteurs agissent seuls, que ces conditions sont données toutes seules : et de telles suppositions, souvent, seront irréelles.

Mais pour être irréelles, ces suppositions n’en conduisent pas moins ceux qui les étudient à des conclusions vraies. On obtiendra, par cette voie, des vérités qu’on peut appeler partielles : et l’on pourra ensuite se rapprocher progressivement de la réalité concrète en introduisant l’une après l’autre dans l’hypothèse ces données qu’on a tout d’abord écartées. Les spéculations de Thünen sur la rente de situation des terres[2] sont un bon exemple des résultats considérables auxquels on peut arriver en procédant comme il vient d’être dit. Thünen suppose un État isolé, où toutes les terres seraient également fertiles, et au centre duquel se trouverait une ville unique : ces suppositions lui permettent de déterminer l’influence de la situation des terres sur le rendement. Des suppositions différentes permettront de déterminer l’influence de la fertilité. La rente que les propriétaires fonciers perçoivent effectivement sera déterminée à la fois par la situation et par la fertilité de leurs terres, et peut-être par d’autres facteurs encore.

Il arrivera même quelquefois que l’économiste, faisant ses déductions, renoncera par avance et complètement à tenir compte jamais de certaines influences perturbatrices, qu’il posera comme vraies d’une vérité universelle des prémisses qui ne correspondent qu’approximativement à la réalité. Il en sera ainsi, notamment, pour les principes psychologiques de l’économique. On a reproché avec raison à certains économistes classiques de s’être enfermés dans cette hypothèse que l’homme cherchait toujours son intérêt, et le comprenait toujours parfaitement bien. L’hypothèse est par trop simple ; et à s’y tenir rigoureusement, on se condamne, par exemple,

  1. Schmoller par exemple reconnaît expressément l’utilité de la déduction (Grundriss, § 46 ; trad. fr., t. I).
  2. Dans le premier volume de son Isolirte Staat (1826).