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Ajoutons à cela que pour ces biens qui ne sont pas tangibles, beaucoup plus que pour les autres, il est difficile aux vendeurs de faire connaître à tous les acheteurs les biens qu’ils offrent, et que les acheteurs de leur côté ne sauraient choisir, quand ils veulent se procurer un bien, qu’entre un petit nombre de vendeurs. Celui qui a besoin des soins d’un dentiste, dans une grande ville, ne choisira pas entre tous les dentistes établis dans cette ville : il choisira parmi ceux auxquels il a eu déjà recours, et dont il a pu ainsi apprécier la conscience et l’habileté, et parmi ceux, encore, dont on lui aura parlé ou en qui telle ou telle raison lui fera avoir confiance. Si donc un dentiste, pour tel ou tel motif, a cette chance qu’une clientèle particulièrement nombreuse s’adresse à lui, il pourra faire payer ses soins un prix plus élevé que celui que la théorie déterminerait.

Ainsi, le marché réel n’est jamais identique à ce marché sur lequel la théorie raisonne ; et moins il réalise le concept théorique, plus les prix pourront s’écarter de ces prix de concurrence que nous avons définis. Four autant qu’ils s’en écarteront, ils résulteront du jeu de facteurs nombreux et divers. Des causes d’ordre particulier interviendront : dans chaque transaction isolée qui se conclura, l’habileté relative des deux contractants au marchandage jouera un rôle important. Mais il convient aussi de noter l’influence de certains facteurs d’ordre général. Le sentiment de la justice, par exemple, empêchera souvent que les contractants profitent entièrement des avantages que la situation où ils se trouvent leur confère — soit qu’il s’agisse de ces avantages dont la théorie tiendrait compte, soit qu’il s’agisse d’avantages d’une autre sorte, par exemple d’une supériorité dans le marchandage — . La force de l’habitude empêchera les prix de monter ou de descendre autant, ou du moins aussi vite que la théorie le voudrait. Cette force, d’ailleurs, se mettra au service des vendeurs plutôt qu’à celui des acheteurs. C’est un fait souvent constaté que les prix montent plus facilement qu’ils ne descendent ; et ce fait s’explique aisément. Si les vendeurs sont des marchands, l’intérêt qu’ils ont à élever leur prix, ou à maintenir les hauts prix, est beaucoup plus grand que celui qu’ont les consommateurs à ne pas payer plus cher, ou à obtenir des prix plus bas : ils profiteront donc de toutes les occasions qui leur permettront de vendre plus cher, et ils ne se résoudront qu’avec beaucoup de peine à vendre moins cher. Quant au vendeur qui n’est pas un marchand, s’il doit vendre un bien !.000 francs de moins qu’il n’aurait fait auparavant, il lui semblera qu’il fait une perte de 1.000 francs, et il ressentira cette perte très vivement ; tandis que l’acheteur, s’il lui faut payer 1.000 fr. de plus — et qu’au prix nouveau, bien entendu, l’opération soit encore bonne pour lui —, sera moins affecté, et cela, parce que c’est au bien qu’il veut acquérir que sa pensée s’attache surtout.