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lité. Ses voisins, cependant, n’ont rien qu’il désire ; mais ils possèdent tel bien qu’il aura plus tard la possibilité d’échanger contre des choses utiles : il leur demandera donc ce bien, qu’il paiera avec son gibier ou son poisson[1].

On recherchera donc les biens qu’on trouve facilement à échanger. On ne les recherchera d’ailleurs pas seulement en vue d’échanges futurs ; on les recherchera aussi en vue de certains paiements auxquels on sera obligé. Dans les peuplades même les plus primitives, il y a toujours une organisation ; presque partout on trouve des impôts, des amendes, des tributs. Ceux qui les perçoivent ne pourront pas toujours se faire donner des biens qui leur soient utiles par eux-mêmes ; il leur faudra accepter d’autres biens encore, qu’ils recevront avec l’intention de les échanger plus tard. Mais ils n’accepteront pas qu’on s’acquitte avec n’importe quels biens : ils exigeront qu’on leur donne des biens d’un écoulement facile. Et par là ceux qui ont à payer les impôts, les amendes, les tributs en question seront incités à constituer des réserves de ces biens.

Pour les raisons qu’on vient de voir, ces biens acquerront une situation particulière parmi les autres qui auront cette double qualité d’être désirés par beaucoup de gens et de ne point être périssables : on sera heureux de se les procurer, même alors qu’on n’aura point besoin d’eux pour eux-mêmes.

Les biens, au reste, qui assumeront comme nous venons de dire la fonction spéciale de moyens de paiement et de moyens d’échange, ces biens seront multiples ; ils varieront d’une peuplade, d’une région à l’autre[2]. Et même, au début tout au moins, plusieurs biens pourront dans une même peuplade remplir cette fonction simultanément. Chez les peuples chasseurs, on se servira souvent des peaux de bêtes ; chez les peuples pasteurs, on se servira du gros et du petit bétail — on admet généralement que le mot latin « pecunia » vient de pecus — ; chez les peuples agriculteurs, on se servira du blé ou de telles autres denrées agricoles — dans les colonies anglaises du nord de l’Amérique, au XVIIe et jusqu’au XVIIIe siècle, on voit le tabac, le maïs, le blé employés couramment pour les paiements ; parfois d’ailleurs les autorités leur donnent cours légal —. Dans certains pays, des marchandises manufacturées — des cotonnades notamment — sont reçues comme monnaie. On notera que chez beaucoup de peuples primitifs ce sont

  1. Nous ne posons pas ici la question de l’origine de l’échange. Indiquons cependant, en passant, que cette question est discutée, et signalons, parmi les solutions que l’on en a proposées, celle qui veut que l’échange soit né de la coutume des présents mutuels (cf. là-dessus Hainisch, Die Entstehung des Kapitalzinset, Leipzig, Deuticke, 1907, pp. 28-35).
  2. Sur ce point, voir Jevons, La monnaie et le mécanisme de l’échange, chap. 4, de Foville, La monnaie, chap. 2-3.