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pire romain, par exemple, présentait déjà beaucoup de ces caractères que l’on trouve dans l’économie des temps modernes[1]. La grande production industrielle existait dans la Rome impériale ; les sociétés industrielles, commerciales et autres y étaient nombreuses ; le capital y jouait un rôle considérable ; les transactions commerciales, en raison de l’étendue de l’Empire, rencontraient en un certain sens moins d’obstacles qu’aujourd’hui ; les besoins de l’État pour ses services tant civils que militaires étaient énormes.

Il ne faut pas, toutefois, s’exagérer l’importance de ces ressemblances. Ce qu’il y a lieu de noter, surtout, c’est que la division du travail, les échanges n’avaient pas pris à Rome assez de développement pour faire de l’économie romaine un système prodigieusement étendu et compact à la fois comme est l’économie de la société moderne. Il n’y avait pas alors entre les membres de l’organisme économique cette solidarité qui les unit aujourd’hui. Chacun d’eux, peut-on dire, avait sa vie séparée : seulement tous devaient fournir des contributions plus ou moins fortes à la capitale ; perpétuellement une partie des efforts productifs des diverses provinces de l’Empire allait se perdre dans ce gouffre qui recevait toujours et ne donnait rien en retour.

À cette remarque, il convient d’en ajouter d’autres. L’État romain s’étendait sur presque toute la terre habitée. Point par conséquent, au temps de l’Empire, de ces questions nationales dont la préoccupation a inspiré bien des recherches économiques.

Pas plus que les questions nationales, les questions sociales n’existaient vraiment dans la Rome impériale. Et ces questions encore ont provoqué toutes sortes d’études. C’est le souci de la justice sociale, souci inconnu des hommes de l’antiquité, mais dont personne aujourd’hui ne voudrait avouer qu’il l’ignore, qui a poussé bien des gens vers l’étude du problème de la distribution, les obligeant, du même coup, à approfondir les autres problèmes de l’économique.

Notons, enfin, l’influence qu’a eue l’idée du progrès. On connaît la fortune singulière de cette idée toute moderne, et qui tient une place si grande dans la pensée des hommes de notre temps. Née au xviie siècle, elle est devenue, dès le xviiie, l’idée dominante de la civilisation européenne. Aujourd’hui, pour tous les hommes ou à peu près, chaque siècle, chaque génération doit dépasser, dans tous les domaines et à tous les égards, le siècle ou la génération précédente. Et l’on entend par là, d’une part, qu’il ne saurait en être autrement ; mais en même temps on conçoit que c’est un de-

  1. Voir sur cette question les observations de Marshall, Principles of economics, liv. I, chap. 2, § 4 (trad. fr., t. 1). Lire aussi Salvioli, Le capitalisme dans le monde antique (trad. fr., Paris, Giard et Brière, 1906).