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par les frais du transport que les denrées ont à supporter pour arriver sur le marché.

C’est Thünen qui, le premier, a étudié l’influence de l’éloignement du marché sur le mode d’exploitation de la terre[1]. Il a montré comment, autour d’un centre de consommation important, des zones concentriques devaient nécessairement se former, caractérisées chacune par les cultures qui y sont faites et par les méthodes qui y sont appliquées. El si tels détails de sa théorie sont critiquables, le principe du moins en est très vrai et très fécond. Ce que ce principe veut, d’une manière générale, c’est que la culture intensive soit pratiquée dans les zones les plus proches du marché, et les cultures extensives dans les autres. Les agriculteurs qui se trouvent près du marché, ayant leur production grevée de frais de transport moindres, pourront trouver leur avantage à accroître cette production par des avances qui, plus loin, ne seraient pas rentables. Le blé, par exemple, se vendant 20 francs l’hectolitre sur le marché, le cultivateur dont le blé doit payer 2 francs pour arriver à ce marché aura intérêt, s’il peut le faire, à augmenter sa production de 100 hectolitres en dépensant 1.700 francs de plus en main-d’œuvre, en engrais, etc. ; mais cet autre cultivateur n’y aura pas intérêt dont le blé doit payer 4 francs de frais de transport[2].

Ces facteurs que nous avons énumérés, au reste, se combinent en diverses manières, l’action de l’un tantôt renforçant l’autre, et tantôt la contrariant. Dans la banlieue des villes, par exemple, le voisinage du marché pousse à adopter des cultures intensives ; mais le prix élevé de la main-d’œuvre agit en sens inverse et limite ou même détruit l’effet de la cause ci-dessus.

Ce sont les considérations précédentes qui donnent l’explication de certains phénomènes historiques sur lesquels l’attention des économistes s’est portée souvent. Il y a lieu d’expliquer, notamment, par la hausse des salaires, et par la concurrence des céréales des États-Unis, de l’Inde et de la Russie — concurrence qui a fait baisser les prix là où elle s’est exercée — ce recul relatif ou même absolu de la culture des céréales devant la prairie et le pâturage que l’on a constaté dans certains pays d’Europe. En France, entre 1840 et 1892, la superficie cultivée en céréales aurait passé de 14,55 millions d’hectares à 14,82, cependant que la superficie des prairies artificielles aurait passé de 1,57 millions d’hectares à 3,53 et celle des

  1. Dans son livre Der isolirte Staat in Biziehung auf Landwirtschaft und Nationalökonomie. On trouvera un exposé et un commentaire de ses idées sur cette question chez Andler, Les origines du socialisme d’État en Allemagne, Paris, Alcan, 1897, liv. II, chap. 3, ii.
  2. Ceci n’est qu’une vue simplifiée des choses. D’autres considérations interviennent encore dans la question : par exemple, s’il s’agit de cultures industrielles, l’élaboration sur place des produits de ces cultures pourra les transformer en des produits dont le transport sera moins coûteux.