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parition de ces formes, leurs premiers progrès ne sauraient aucunement, s’expliquer, c’est trop clair, par l’imitation. Cette apparition, d’autre part, ces premiers progrès du cartel et du trust ne peuvent avoir leur source, ou du moins leur source principale et première, dans une modification de ce qu’on pourrait appeler les mœurs économiques. Il faut chercher les causes de l’évolution qui nous occupe, avant tout, dans des particularités objectives de l’économie contemporaine.

Quand on dirige, comme il y a lieu de faire, ses recherches de ce côté, il ne faut pas se contenter de certaines observations insuffisamment précises, voire même inexactes, qu’on trouve trop souvent chez les auteurs. On lit, par exemple, souvent que si les coalitions d’entreprises se multiplient en ce moment, c’est parce que, de nos jours, la concurrence s’est faite plus acharnée entre les producteurs, et qu’ainsi l’intérêt est plus grand qui pousse ces producteurs à s’entendre pour limiter ou pour supprimer la concurrence. Mais en quoi la concurrence, aujourd’hui, est-elle plus acharnée, ou plus vive, ou plus intense — on emploie indifféremment ces diverses expressions — qu’elle n’était naguère ? Il serait nécessaire de l’indiquer. On dit, encore, que s’agissant d’entreprises considérables, où de gros capitaux sont engagés, qui ont un chiffre d’affaires élevé, les risques sont plus grands que la concurrence fait courir à chacun, comme aussi les bénéfices que l’entente peut assurer. Mais les bénéfices à réaliser seront-ils relativement plus grands ? c’est tout ce qui importe ; et pour ce qui est des risques, il faudrait montrer pourquoi l’entrepreneur moyen ou petit — nous mettons à part le très petit entrepreneur, voisin, par sa condition, des simples salariés — devrait redouter la chute de sa maison moins que le grand entrepreneur.

En fait, il est exact que les inconvénients et les dangers de la concurrence sont plus sérieux pour la grande production d’aujourd’hui qu’ils n’étaient pour la production moins concentrée de naguère. Cela tient à ce que dans la grande production, en règle générale, la proportion du capital fixe est plus forte.

Le capital fixe est plus exposé que le capital circulant. Quand un industriel a dépensé de l’argent en main-d’œuvre, en matières premières, il est certain de retrouver, pour le moins, une part considérable de ces dépenses : car les produits qu’il aura fabriqués avec cette main-d’œuvre et ces matières premières se vendront toujours, encore que peut-être à un prix insuffisamment rémunérateur. Mais l’argent que notre industriel a dépensé pour construire des usines, pour faire des installations et des aménagements d’une sorte ou de l’autre, cet argent, s’il est obligé d’arrêter un jour la marche de son entreprise, court le risque d’être perdu complète ment, ou presque complètement.

Mettons que les choses n’en arrivent pas au point qui vient d’être dit.