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de produit ; de toutes les façons, d’ailleurs, le produit qu’un champ peut donner est limité. Cela étant, toute la question, pour un agriculteur, est de savoir s’il pourra écouler sur le marché les denrées qu’il fait venir sur sa terre ; ou plutôt — car les produits peuvent toujours être écoulés, si l’on consent à vendre un prix suffisamment bas —, toute la question pour lui est de savoir à quel prix il pourra vendre une récolte qui est déterminée à l’avance.

Considérons maintenant l’industriel. Il se préoccupe de la quantité de produits qu’il vendra. Car il lui est facile — à l’ordinaire du moins — d’étendre sa production d’une manière pour ainsi dire indéfinie ; il lui est facile de la porter au delà de ce maximum que permet d’obtenir le matériel, l’installation dont il dispose. Et la facilité est plus grande encore pour le commerçant, vu que dans le commerce, en général, l’installation et surtout le matériel jouent un rôle beaucoup moins grand que dans l’industrie.

Comme on le conçoit sans peine, la concurrence est plus intense — si l’on peut ainsi parler — quand la production de chaque concurrent est extensible ; et elle est d’autant plus intense que cette production peut plus facilement être augmentée. La concurrence des agriculteurs a pour effet de rendre impossible l’exploitation de certaines terres : car toutes les terres étant cultivées, des prix s’établiraient, pour les denrées agricoles, qui par rapport à certaines terres ne seraient pas rémunérateurs. On ne dira pas, cependant, que les agriculteurs se disputent la clientèle des consommateurs, comme font la plupart des industriels, et les commerçants. Tout au moins ne se la disputent-ils pas de la même façon.

2o Un point qui n’est pas sans intérêt, c’est celui du nombre des producteurs qui se font concurrence. Un agriculteur se trouve, en concurrence avec tous les agriculteurs qui écoulent sur le même marché que lui leur blé, leur lait, leurs légumes. Il a donc, à l’ordinaire, un nombre de concurrents très élevé. Un coiffeur, au contraire, un débitant de boissons souffrent de la concurrence du coiffeur, du débitant d’en face : celui-là disparu, la clientèle du quartier leur est assurée, et ils sont certains de prospérer.

L’intérêt du point que nous signalons ici, — entre autres choses —, c’est que le nombre des concurrents en présence explique les sentiments que la concurrence fait naître chez ceux qui y participent. L’agriculteur dont nous parlions ne souffre, du fait de chacun des autres agriculteurs pris séparément, qu’un petit dommage ; la bonne récolte de son voisin ne lui cause que peu de tort. En conséquence, il n’aura point d’animosité à l’égard de ce voisin. Ou du moins s’il en a, ce ne sera que par l’effet d’un naturel jaloux. Mais comment le coiffeur, le débitant de boissons ne souhaiteraient-ils pas de tout leur cœur la ruine du rival qui leur fait vis-à-vis ?