Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par des règles juridiques auxquelles ces individus doivent se soumettre. D’après Stammler[1], même, les faits économiques et les faits juridiques seraient unis à tel point, qu’ils ne correspondraient pas à deux ordres distincts de réalités, mais qu’ils exprimeraient une même réalité, vue sous deux aspects différents. L’économie représenterait la matière de la vie sociale, ou du moins d’une partie importante de cette vie ; et de cette matière le droit serait la forme.

Nous ne pouvons pas songer à développer cette théorie de Stammler dont nous venons d’indiquer l’idée essentielle, ni non plus à la critiquer longuement. Nous dirons toutefois qu’il y a quelque chose d’un peu obscur dans cette opposition de la matière et de la forme par laquelle Stammler définit les rapports de l’économie et du droit. Et nous ajouterons qu’il nous paraît y avoir, dans la thèse de Stammler, quelque exagération. Il y a des vérités économiques élémentaires, et très générales, où aucune notion, aucune détermination juridique ne sera impliquée. Ces vérités, on les découvrira en rapprochant les principes psychologiques de l’activité économique des hommes de certaines conditions d’ordre technique par lesquelles cette activité est limitée : vraies de toutes les sociétés, elles constituent ce que certains auteurs appellent, comme on l’a vu plus haut, l’économique pure.

De ce qui précède, il résulte que l’économique est dans une grande mesure sous la dépendance, pour ainsi parler, du droit. Mais la proposition inverse ne serait-elle pas vraie également ? Nous sommes conduits, ainsi, à examiner la théorie marxiste connue sous le nom de matérialisme historique[2].

Le matérialisme historique est une théorie qui veut que l’homme soit dominé par ses besoins « matériels », et que, conséquemment, l’explication des institutions, des croyances humaines doive être cherchée principalement dans les conditions d’ordre économique au milieu desquelles les hommes vivent et auxquelles ils doivent s’accommoder pour satisfaire ces besoins. La structure économique de la société détermine l’organisation

  1. Voir son livre Wirtschaft und liecht, Leipzig, Veit, 1896.
  2. Cette théorie, qui inspire toute l’œuvre de Marx, n’a été nulle part exposée par Marx lui-même. On l’étudierait mieux dans les écrits d’Engels, l’ami fidèle et le collaborateur de Marx (voir notamment Herrn Eugen Dührings Umwülzung der Wissenschaft, Der Usprung der Familie, et l’essai sur Ludwig Feuerbach). La philosophie marxiste a été étudiée très consciencieusement par Masaryk (Die philosophischen und soziologischen Grundlagen des Marxismus, Vienne, 1899) ; on consultera aussi avec fruit Croce (Matérialisme historique et économie marxiste, Paris, Giard et Brière, 1901). La doctrine de l’influence prédominante des facteurs économiques dans la vie sociale a été développée abondamment par Loria (voir en particulier Le basi economiche della costituzione sociale, Turin, Bocca, 3e édition, 1902).