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Souvent on ne veut admettre dans la catégorie des capitaux que les biens qui sont « productifs », c’est-à-dire les biens qui pour tout le monde sont des biens indirects, ceux dont l’utilité est de servir à produire d’autres biens. Certains auteurs à la vérité, comme Böhm-Bawerk, n’ont recours à cette détermination que pour distinguer le capital « social » du capital « privé ». Mais d’autres l’introduisent dans le concept général du capital.

Il est arrivé, même, qu’on a limité l’extension du concept de capital à ces biens qui rendent plus facile le travail productif, excluant ainsi de cette extension les matières premières, par exemple, que le travail met en œuvre. Il est arrivé aussi que l’on n’a voulu reconnaître comme capital que les avances faites aux ouvriers. Jevons prétend que le rôle du capital est « de faire subsister les travailleurs pendant la durée du travail où ils sont engagés », que « le capital, ce n’est pas le chemin de fer, mais la nourriture de ceux qui construisent ce chemin de fer »[1]. La même idée se retrouve chez Lassalle. Et on a quelque chose d’analogue chez Marx : car pour Marx le capital, c’est l’argent, en tant qu’il est employé à acheter des marchandises que l’on revendra avec un bénéfice[2] ; et comme d’après lui le bénéfice du capitaliste provient des conditions exceptionnelles dans lesquelles il se procure la marchandise travail, comme il est dû, en définitive, à cette partie de son capital avec laquelle ce capitaliste paie ses ouvriers, n’apparaît-il pas que dans la doctrine de Marx, c’est le capital-salaires qui est le capital par excellence ?

Voici, enfin, une dernière détermination dont on s’est servi pour distinguer, parmi les biens qui donnent des plus-values, ceux qu’il y aurait lieu d’appeler des capitaux. Les capitaux seraient les biens qu’on peut consommer — au sens étymologique du mot —, et qu’on ne « consomme » pas afin d’en tirer une plus-value. Et sans doute il y a lieu de remarquer que par rapport à ceux qui les possèdent, tous les biens économiques peuvent être en un certain sens l’objet d’une « consommation » immédiate, à savoir en ce sens qu’on peut les vendre et en « manger » le prix. Mais on exige parfois, pour qu’un bien puisse être regardé comme un capital, qu’il soit susceptible d’être « consommé » directement, si l’on peut ainsi dire. 2° On n’a pas toujours réservé le nom de capitaux à ces biens qui nous donnent des revenus. On a nommé capitaux, aussi, ces biens dont la consommation est différée, soit d’ailleurs que par là une plus-value doive être créée, soit qu’il ne doive pas en être ainsi. « Quiconque reçoit chaque année, a dit Turgot, plus de valeurs qu’il n’a besoin d’en dépenser, peut

  1. Stanley Jevons, The theory of political economy, ch, 7, p. 242 (3e éd., Londres, Macmillan, 1888).
  2. Das Kapital, I, chap. 4.