Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui est de la moralité, elle influe sur notre activité économique beaucoup moins qu’on ne pourrait croire. Une certaine honnêteté est une bonne condition pour réussir dans les affaires ; il y a des règles que la morale nous impose et qu’il est en même temps de notre intérêt de suivre : ces règles-là, on les suit, sinon toujours, du moins le plus souvent. Mais on ne va guère au delà en général : car la concurrence universelle fait que, à vouloir agir toujours comme le prescrit cette morale que l’on enseigne communément, on s’exposerait à subir de gros dommages et même à succomber[1].

3o L’amitié, la charité, le patriotisme, l’attachement à une cause politique ou religieuse, etc. nous entraînent à des dépenses. Mais tout d’abord ces dépenses ne représentent, par rapport à celles que nous faisons pour satisfaire nos besoins personnels et ceux des nôtres, que peu de chose. Il n’est guère possible de se servir, pour arriver à une estimation un peu précise du montant auquel elles s’élèvent, des budgets des particuliers. Des chiffres comme celui des sommes qui annuellement sont versées à l’œuvre de la Propagation de la foi ou à telle œuvre similaire ne nous fournissent que des indications fragmentaires. Mais on peut utiliser ici les statistiques des successions. On « donne » sans doute plus, relativement, après sa mort que de son vivant. Peut-être y a-t-il des personnes qui se font scrupule de priver leurs héritiers naturels même d’une petite partie d’un « capital » qui doit, pensent-elles, leur revenir, au lieu que ces mêmes personnes ne craignent pas de disposer, pendant leur vie, des revenus de ce capital. Mais ce sentiment se rencontrera rarement ; et ses effets seront certainement contrebalancés par le fait que des gens qui n’ont pas d’héritiers tout à fait proches peuvent, sans faire aucun tort à personne qui leur soit cher, laisser toute leur fortune à des amis ou à des œuvres. Or nous voyons qu’en France par exemple, en 1904, sur un actif net de plus de 5.244 millions transmis par successions, quelque 202 millions seulement ont été transmis à des individus qui n’étaient point des héritiers légaux, et 4,3 millions environ à des personnes morales. Que si l’on objecte qu’il y a des legs qui sont transmis par personnes interposées, il est aisé de répondre que ces personnes interposées, vraisemblablement, ne peuvent se trouver que parmi ces individus qui ne sont point héritiers légaux, et dont nous venons d’indiquer la part[2].

  1. Lire à ce sujet le morceau qu’Effertz a écrit sur La dignité humaine (Antagonismes économiques, IIIe partie, chap. 1, iii).
  2. Voir l’Annuaire statistique (1905), p. 250. Dans les autres pays de l’Europe, les choses se passent à peu près comme en France. Ce n’est guère qu’aux États-Unis qu’on voit les particuliers riches faire des dons ou des legs relativement importants à des œuvres d’intérêt général. Certains richards philanthropes ont même, aux États-Unis, érigé leur façon de faire en théorie : voir la brochure de Carnegie, L’évangile de la richesse, Paris, Fischbacher, 1891.