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semble, se faisait d’une manière rigoureuse : des 36 numéros de la roulette, chacun n’a-t-il pas à chaque coup une chance sur 36 de sortir ? Maintenant, au contraire, la détermination des chances de gain et de perte, des chances pour chaque gain et pour chaque perte, ne peut se faire que très grossièrement : comment dire exactement combien il y a de chances que le prix des 100 kilogrammes de sucre monte d’un franc, combien il y a de chances qu’il monte de 2 francs, etc. ? Ainsi tout à l’heure le risque, sera-t-on tenté de dire, était simple : il résultait de ce qu’une probabilité n’est qu’une probabilité. Et maintenant le risque serait double : car en outre de cette incertitude qui s’attache à la réalisation de toute probabilité, il y a une incertitude nouvelle qui résulte du caractère imparfait de la détermination de la probabilité.

Cette façon de raisonner, toutefois, serait défectueuse : elle implique, en effet, une méconnaissance grave de la signification de la probabilité. Quand on dit qu’un numéro donné, à la roulette, a une chance sur trente-six de sortir, rien ne garantit que même dans la plus longue des séries un numéro sortira exactement une fois sur trente-six. À chaque coup qui se joue, il y a des raisons pour qu’un certain numéro sorte, et point aucun des autres : seulement ces raisons sont telles qu’on peut être assuré par avance que le calcul n’aura jamais prise sur elles.

Il en va de même quand on essaie de déterminer par avance la durée de la vie d’un homme. Se fiant aux tables de mortalité, on risque très fort de se tromper : pourquoi ? parce qu’il y a des raisons particulières qui font que l’homme en question doit vivre plus — ou moins — que l’homme moyen. Il y a des raisons particulières pour cela, exactement comme il y en a pour qu’un numéro donné sorte — ou ne sorte pas — à un coup de la roulette. S’il semble qu’il y ait une différence radicale entre les deux cas, c’est là une illusion, due à ce que pour l’homme qui nous occupe nous concevons la possibilité de reconnaître en lui ces raisons qui le feront vivre plus ou moins longtemps. Mais que notre ignorance puisse être ou non réduite, c’est notre ignorance seule — il faut y revenir — qui crée le risque, et la nature de celui-ci demeure identique à elle-même dans tous les cas.

Des observations qui précèdent, il est aisé de tirer des conclusions au sujet de la manière dont nous devons agir quand nous nous trouverons en face de risques de la sorte qui vient d’être dite. Cette manière d’agir, en principe, sera pareille à celle qu’il convient d’adopter dans les cas où la détermination des probabilités paraît se faire avec une absolue rigueur — dans les cas, pour parler correctement, où cette détermination est faite aisément avec toute la rigueur possible —. Il faut mettre d’un côté les possibilités de gain, de l’autre, les possibilités de perte, en les exprimant en utilité, puis multiplier chaque possibilité par la chance qui y est attachée, en es-