Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la journée de travail, depuis un demi-siècle, a diminué considérablement. Les machines épargnent à l’ouvrier, dans quantité d’industries, ces dépenses d’énergie musculaire qu’on exigeait de lui jadis[1]. Les occupations où il faut beaucoup de force sont relativement rares, et les hommes très vigoureux y suffisent : du terrassier lui-même, s’il est vraiment fait pour son métier, et s’il est en bonne santé, dira-t-on qu’il souffre beaucoup de la fatigue, dans la journée qui lui est demandée ? Mais il n’est pas de travailleur, ou presque pas, qui n’aurait un emploi agréable d’une partie au moins du temps que le travail lui prend.

Essayons de déterminer la courbe du sacrifice que la privation de loisir représente. Pour cela, il faut tracer la courbe des plaisirs que le travailleur pourrait se procurer s’il avait la disposition de son temps. Supposons que douze heures lui soient nécessaires pour dormir, manger, faire sa toilette, etc. ; et laissons ces douze heures de côté. Qu’est-ce que notre individu fera des douze autres heures, s’il n’est pas obligé de travailler ? Il en consacrera deux à sa famille, par exemple, et trouvera à cela un plaisir que nous mesurons par dix ; il en passera trois avec des amis, qui lui procureront un plaisir égal à huit ; il en passera quatre autres à la pêche, qui lui donneront un plaisir égal à six ; et pendant les trois heures restantes il s’ennuiera, soit une peine égale à deux.

On voit dès lors comment la courbe de la privation de loisir s’établit. Les 3 premières heures de travail, qui évitent à notre travailleur de s’ennuyer, ont une utilité de 2 ; les 4 heures suivantes, l’empêchant d’aller à la pêche, correspondent à un sacrifice de 6 ; 3 heures de travail en plus feront un sacrifice de 8, et 2 heures supplémentaires un sacrifice de 10.

Le sacrifice, en somme, ne commence pas tout de suite ; mais à partir du moment où il commence, il grandit toujours, et plus vite que ne s’accroît la durée du travail.

Il est à espérer que les progrès de la technique, ceux de la législation sociale, etc., feront disparaître complètement, ou à peu près, l’insalubrité, les dangers, les incommodités du travail, et même la fatigue, et que l’autorité industrielle deviendra beaucoup moins pesante à ceux sur qui elle s’exerce. Mais il n’est guère à attendre que la journée de travail puisse jamais se réduire à cette longueur qui est nécessaire pour nous préserver de l’ennui : l’on s’en persuadera surtout si l’on considère que les progrès de la civilisation nous font prendre plaisir à des occupations toujours plus nombreuses.

  1. Voir Marshall, Principles, liv. IV, chap. 9, § 6 (trad. fr., t. I).