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du bonheur : nous étudions, en effet, la seule influence de la richesse, et Faisant varier celle-ci, nous supposons que toutes choses demeurent égales par ailleurs. Nous ne dirons pas non plus que les plaisirs supplémentaires obtenus avec plus d’argent s’amortiront par l’accoutumance, et qu’ainsi cet excès d’argent bientôt servira uniquement à satisfaire des « besoins » dans le sens étroit du mot : car les plaisirs à la recherche desquels on emploiera son augmentation de fortune ne seront pas nécessairement de cette sorte. Et nous ne ferons pas valoir que pour ce qui est des biens d’usage, à l’achat desquels on consacrera sans doute une grande partie de son avoir ou de ses revenus, le plaisir de l’acquisition — plaisir peu durable — est à peu près tout ce qui compte. Cette dernière proposition à coup sûr est très vraie : parmi ceux qui possèdent des œuvres d’art de prix, même si on les suppose vraiment artistes, combien y en a-t-il qui tirent de ces œuvres d’art une somme de jouissances tant soit peu notable, passé les premiers temps qu’elles sont entrées chez eux ! Il nous importe d’être environné de choses qui ne choquent pas notre sens esthétique, et même qui le satisfassent : mais point n’est besoin pour cela que nous possédions des œuvres singulièrement belles. Seulement, il reste que les biens d’usage ne sont pas les seuls que la richesse nous permette d’avoir en abondance, et que pour ces biens eux-mêmes il y a un plaisir de l’acquisition qu’avec plus de richesse nous pouvons nous procurer plus souvent, et plus vif.

La justification de la thèse énoncée plus haut, nous la trouverons tout d’abord dans une rectification de ce qui a été dit, à l’article précédent, touchant la décroissance de l’utilité des biens spécifiques. Nous avons avancé, on se le rappelle, qu’une unité d’un certain bien ayant une certaine utilité, des unités successives qui venaient s’ajouter à celle-là nous étaient de moins en moins utiles ; mais nous avons admis que chaque addition d’une unité nouvelle laissait inchangée l’utilité des unités antérieures. C’est cette dernière proposition qui — par rapport aux biens qui satisfont des besoins positifs — n’est pas conforme à la réalité.

Nous paierions une unité d’un bien, si nous devions l’acquérir seule, jusqu’à 1.000 francs ; mais en fait nous achetons 5 unités, et nous les payons en raison de l’utilité de la dernière, soit 100 francs chacune. Dès lors, la première unité se trouvant faire partie d’un ensemble, l’utilité qu’elle aurait si elle était seule ne nous apparaît plus aussi distinctement. Et l’utilité, il faut le voir, n’est pas, souvent, sans être modifiée par ce qu’elle parait être.

Ce n’est pas tout. L’accroissement du nombre des biens ôte à ceux-ci ou affaiblit en eux tel attrait qu’ils eussent possédé, ou qui eût été plus vif, si on en avait eu un nombre moindre. Un individu, s’il ne devait aller au théâtre qu’une fois dans la saison, paierait pour cela, nous supposons, jusqu’à 50 francs. Il paierait 30 francs pour un deuxième spectacle, et