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il a plus que doublé. Si l’on devait économiser dans une période donnée tous ses revenus, la gêne qu’on s’imposerait serait en quelque sorte infinie, puisqu’on se priverait de l’indispensable ; la gêne sera infinie, même avant qu’on n’ait tout économisé, puisqu’aussi bien l’indispensable correspond non pas à une partie infiniment petite de nos revenus, mais à une partie qui a une grandeur, et une grandeur assez importante.

Je noterai que pour la plupart des individus qui économisent, la courbe de la gêne qui correspond aux différentes économies possibles, non seulement monte de plus en plus vite, mais encore ne monte pas d’une manière continue : il est un point où tout d’un coup elle s’élève considérablement. Ici, bien entendu, je parle non pas de la gêne réelle, laquelle devrait croître suivant une courbe continue, mais de la gêne que l’on croit sentir ; mais peut-être n’est-il pas permis, en une pareille matière, de séparer l’intérêt véritable de l’individu de l’appréciation qu’il fait de ses intérêts[1] ; et en tout cas c’est une chose importante à considérer — la seule importante quand il s’agit de chercher comment se détermine le taux de l’intérêt — que le sentiment des individus sur la gêne que leur cause

  1. Il y a ici une question délicate. Dans certains cas, il est manifeste que l’individu peut se tromper sur ses intérêts : par exemple, s’il lui arrive de faire des fautes de calcul dans les prévisions relatives à quelque opération. J’estime qu’on peut encore parler d’une erreur de l’individu dans le cas de la dépréciation du futur : la certitude étant égale, les risques, encore, étant couverts, nous ne devrions pas préférer — pour autant du moins qu’on ne fait pas intervenir la pensée de la mort — les biens présents aux biens futurs, les biens prochains aux biens éloignés. Dans le cas exposé plus haut, il ne s’agit plus de comparer ensemble le gain prévu avec le gain réalisé, un plaisir ou une peine, tels qu’on se les représente à l’avance, avec ce même plaisir ou cette même peine, tels qu’on les sent le moment veau, mais un sentiment présentement et réellement éprouvé avec ce que ce sentiment devrait être si on voyait les choses d’une manière purement rationnelle : le cas est autre, et ce cas est embarrassant.