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dre avec la nécessité en vertu de laquelle le voyageur est dépouillé par le voleur de grand chemin. Tandis que le voyageur n’a nul besoin du voleur de grand chemin, et qu’il ne va pas chercher celui-ci, l’ouvrier a besoin de son employeur[1]. Le contrat par lequel ce dernier s’assure des intérêts est librement consenti par l’ouvrier, lequel y trouve son avantage tout comme le capitaliste. Seulement, la justice règne-t-elle dès lors que la contrainte matérielle n’apparaît pas, dès lors qu’aucun des contractants n’est obligé de recourir à la menace ou au dol ? la justice permet-elle qu’un individu dépende, pour sa subsistance, d’un autre individu, ou d’une classe ; permet-elle que des individus profitent d’un certain ordre de choses pour vivre, pour bien vivre sans se donner aucune peine, sans s’infliger aucun sacrifice ? Ce sont là des questions que tout le monde ne résoudra pas de même. En un sens peut-être il est juste que le capitaliste prenne tout ce que l’ordre légal d’aujourd’hui lui permet de prendre. Mais il ne faudrait pas que Böhm-Bawerk, comme il paraît y incliner, nous fit défense de désirer l’avènement d’un ordre nouveau, où il n’y aurait plus de capitalistes.

120. Böhm-Bawerk a un dernier argument en faveur de l’intérêt du capital, ou plutôt contre les doctrines qui voudraient que l’intérêt ne fût plus perçu par les capitalistes L’intérêt, dit-il, n’est pas une catégorie historique, mais une catégorie économique ; il subsisterait même dans un État socialiste[2]. L’État socialiste donnera-t-il à chacun le produit intégral de son travail, sans tenir compte du moment où ce pro-

  1. On a vu plus haut (§ 113) que le capitaliste ne tirait pas son intérêt proprement des ouvriers qu’il emploie ; on me passera ici une façon de présenter les faits qui n’est pas tout à fait exacte ; je l’adopte afin de me tenir plus près de l’argumentation de Böhm-Bawerk.
  2. II, pp. 388-396.