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il fait chaque jour cent choses qui montrent son mépris pour mon autorité ; il faut le faire périr. Tous les membres du conseil approuvèrent. Le roi alors manda le chef du service de la bouche et lui ordonna de préparer des mets empoisonnés pour Quinh ; il invita ensuite celui-ci à un festin. Quinh savait ce qui lui était réservé ; il fit venir son fils et lui dit : « Le roi m’invite à un festin où il doit me faire empoisonner. Lorsque je serai mort fais rapporter mon cadavre à la maison, mais ne m’enterre pas ; laisse-moi assis dans mon hamac, et pendant ce temps fais jouer la comédie, battre du tambour ; offre à boire et à manger sans te lamenter ni paraître triste. Si l’on te demande pourquoi ces réjouissances, dis que tu célèbres mon retour à la vie, mais ne laisse pénétrer personne jusqu’à moi. Quand tu apprendras la mort du roi, tu pourras te livrer à ta douleur, appeler les maîtres des cérémonies et me faire enterrer. » Le fils obéit. Le roi qui pensait que Quinh était mort du poison qu’on lui avait donné fut surpris d’apprendre que dans sa maison on se livrait ainsi à la joie. Irrité, il fit comparaître devant lui le chef des cuisines et lui demanda comment il se faisait que Quinh ne fut pas mort. Il se fit apporter les mets empoisonnés pour en juger, mais à peine les eut-il flairés qu’il se mit à vomir le sang et mourut. Le fils de Quinh alors fit cesser les réjouissances et enterra son père. C’est pourquoi le proverbe dit : Quand le roi fut mort Quinh mourut.

Quinh connaissait l’avenir de soixante générations ; il savait qu’au bout de dix générations ses descendants deviendraient des mendiants ; aussi avant sa mort fit-il faire une tablette à laquelle ses fils devaient rendre le culte. Sur une face étaient gravés son nom et ses titres, sur l’autre les deux vers suivants :

 
Je t’ai sauvé du malheur de la poutre qui était sur ta tête,
Sauve ma dixième génération de la pauvreté.


Ses enfants ne savaient ce que signifiait cette inscription.