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Après avoir remis son fils au bonze, la princesse mit le feu à son palais et s’envola dans la fumée avec ses servantes. L’on sut alors que l’on avait eu affaire à un génie et l’on s’expliqua le nombre de morts causées par elle. Par la suite, on lui éleva un temple sur le chemin qui sépare les provinces de Thanh béa et de Nghê an, sur une montagne élevée que l’on appelle le Palais des amours[1]. La divinité de ce temple se montra très puissante, aussi venait-on de toutes parts lui présenter ses vœux et lui apporter des présents, mais les gens du pays n’osaient y toucher et laissaient tout le produit au gardien du temple pour acheter les objets du culte.

Dès l’âge de dix ans, le trang Quînh[2] se montra d’une intelligence extraordinaire, connaissant toutes choses célestes et terrestres. Allant se présenter aux examens, il passa devant le temple dédié à sa mère, et entra pour lui rendre ses devoirs et lui demander de l’argent. Il lui dit aussi : « Faites que je réussisse dans mes examens et je vous sacrifierai trois bœufs. » Il prit ensuite de l’argent et le dépensa à s’amuser.

  1. Cung dâm.
  2. Quinh, ordinairement appelé công Qiùnh ou le trang Qiùnh est pour les Annamites le type de la finesse et de la malice. Les Cambodgiens ont un type analogue, Thménh chéy, que M. Aymonier rapproclie de Quinh, et de fait, plusieurs des anecdotes qu’on raconte de lui, et dont la plus caractéristique n’est, par malheur, pas de nature à être rapportée ici, se retrouvent également dans le conte khmèr. De plus les deux personnages vont tous les deux à la cour de Chine, mais dans des conditions bien différentes : Thmênh chéy comme fugitif et Quinh comme ambassadeur.
    Le conte cambodgien a une ressemblance évidente avec les récits de la vie d’Ésope. Nous y voyons le roi de Chine proposer des énigmes au roi du Cambodge, toujours vainqueur, grâce à Thmênh chéy ; celui-ci qui s’est fait de nombreux ennemis et qui a constamment humilié son roi, est condamné à mort mais réussit à échapper encore et même à rentrer en grâce quand on a de nouveau besoin de lui pour deviner les énigmes chinoises. Les Annamites en empruntant de nombreux traits à l’histoire de Thmênh chéy ont complètement transformé le personnage et l’ont rendu entièrement annamite. Il n’en est pas moins curieux de pouvoir reconnaître dans ces contes un dernier écho des histoires ésopiques. Il y a seulement à remarquer que l’apologue, élément