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L’un d’eux prit un pinceau et du manche déprima l’œil du mendiant.

À cette vue, Tuân se réveilla et dit à sa femme : « J’ai été fonctionnaire pendant longtemps et je n’ai jamais fait rien de mal ; je présentais pieusement mes vœux au Ciel et au Bouddha. Comment se fait-il que cette nuit j’aie vu en rêve les trois Bouddhas me donner pour fils un mendiant. À quoi bon ? »

Sa femme lui répondit : « Vous avez fait ce rêve, mais nous ne savons si ce que vous avez vu est arrivé. Demain matin allez à la pagode pour voir ce qui s’est passé. » Tuàn fit ce que lui disait sa femme et le lendemain vit le mendiant étendu devant la grande porte. Il alla trouver le supérieur et lui demanda pourquoi il n’avait pas fait enterrer ce mort. Le supérieur n’en connaissait pas l’existence ; il ordonna aussitôt de l’ensevelir. Tuân auparavant regarda les yeux du mort et les trouva enfoncés comme le lui avait annoncé son rêve. Tuân revint raconter à sa femme ce qu’il avait vu, que les yeux avaient été retouchés et que, par conséquent, la prédiction avait chance de s’accomplir.

La femme de Tuân devint enceinte, et le mari continua à se rendre chaque jour à la pagode pour prier, se plaignant au Bouddha et disant : Vous m’avez donné un fils, mais vous avez choisi pour me le donner un mendiant ; c’est là une honte pour moi. Je n’ai commis aucune faute, pourquoi me traitez-vous ainsi ?

Une nuit il fit un autre rêve. Il vit le génie du lieu[1] qui lui disait : « Les Bouddhas vous ont donné pour fils un mendiant, mais ils lui ont arrangé les yeux. Par la suite, ce fils remplira de grandes charges. Ayant passé l’âge de dix ans il sera

  1. Thô thân. Génie domestique ou plutôt local à qui l’on érige une petite tablette devant tous les tombeaux.