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rapporta les vêtements faits avec les trois rouleaux de soie et disparut. Le roi fut effrayé et dit à ses officiers : « Certes, ces déesses sont puissantes. Il leur conféra le titre de : les quatre vénérables reines, génies du rang suprême, et ordonna aux autorités du pays de leur sacrifier deux fois par an ; il alloua pour chaque sacrifice une somme de trois mille ligatures. Les Annamites et les Chinois ont ce sanctuaire en grande vénération et y ont fait de riches offrandes. Plusieurs fois des pirates chinois ont essayé de le piller ; mais, à peine avaient-ils mis leurs fusils en joue, qu’ils se mettaient à vomir le sang et mouraient. Aussi n’osent-ils plus l’attaquer (1).



(1) Voici, en quelques mots, une version un peu différente et plus complète :

La femme de De binh, dernier empereur de la dynastie Tông (1278) se précipita dans la mer avec ses deux filles pour échapper à la poursuite des Tartares. Un dauphin les recueillit et les porta sur un îlot où il ne se trouvait d’autre habitation qu’une pagode occupée par un bonze. Les fugitives, après avoir repris des forces, jugèrent qu’elles ne pouvaient, sans manquer aux convenances, rester seules avec un homme. Elles se jetèrent donc de nouveau à la mer et furent transformées en un tronc de bach dàng qui alla échouer sur les rivages de l’Annam. Là il fut aperçu, non par un pêcheur, mais par des femmes qui allaient laver leur linge. L’une d’elles, ayant voulu laver son linge sur cet arbre, tomba à la renverse comme morte ; son mari, furieux, allait frapper l’arbre de sa hache, mais il lui en arriva autant. Les gens du village demandèrent alors au génie de cet arbre de se faire connaître, ce qu’il fit en inspirant un jeune enfant. D’après les ordres de la déesse, on lui tailla une statue qui a toutes les apparences de la vie et on lui éleva un temple. Douze jeunes vierges de moins de quinze ans sont attachées à son service. Le troisième jour de chaque mois, à la cinquième veille, elles conduisent la statue dans une barque dorée jusqu’à la mer. Là elles s’arrêtent et tournent leurs regards vers la terre tandis que la déesse procède aux ablutions qui lui sont nécessaires comme à une vivante. Chaque année, le quinze du dixième mois, on renouvelle ses vêtements, et les marchands de Hâ noi fournissent à l’envi les étoffes demandées.

Le temple fut réparé par le roi Thânh tông de la dynastie Lè, qui avait obtenu bon vent et protection dans une expédition maritime contre le Ciampa. Bien que notre nouveau texte ne parle que de deux filles, il n’en compte pas moins comme l’autre quatre personnages divins, le quatrième étant sans doute quelque suivante fidèle.

Cette légende se rapporte à un événement historique. De minh, vaincu et voyant qu’il ne pourrait échapper à ses ennemis, jeta sa femme et ses enfants à la mer. Il s’y précipita ensuite lui-même sur le conseil de Tô lu’u nghïa et fut suivi dans la mort par celui-ci et une foule d’officiers et de soldats.