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mais là, en jouant avec l’enfant de la maison il le poussa, l’autre tomba et se tua.

Heo eut peur et s’enfuit dans une pagode où on lui donna pour emploi de laver la statue du Bouddha. Quand il la lavait il ordonnait à la statue de lever le bras, et le Bouddha le levait ; de lever la jambe, et le Bouddha obéissait[1]. Un jour il oublia de lui dire de baisser le bras qu’il avait levé, et il remit sur l’autel son Bouddha avec un bras en l’air. Quand le supérieur vint faire ses dévotions il fut surpris de trouver le Bouddha dans cette attitude et en demanda la raison à Heo. « C’est que lorsque je l’ai eu lavé, lui répondit celui-ci, j’ai oublié de lui ordonner de baisser le bras. » Le bonze comprit que ce garçon là était un roi et que c’était pour cela que le Bouddha le redoutait (et lui obéissait). Il alla donc vite prévenir les autorités pour que l’on put s’emparer de lui et le faire périr, mais Heo s’enfuit à temps.

Il s’engagea comme jardinier. Chaque soir il arrosait les arbres. Un jour, voyant tous les aréquiers de même taille, il les montra du doigt en disant : « Celui-ci est le père, celui-ci le fils, celui-ci le petit fils. » Immédiatement tous les aréquiers se dépareillèrent, devenant l’un plus grand, l’autre plus petit. Quand le maître vint voir son jardin il trouva ses aréquiers inégaux et dit à Heo : « L’autre jour ils étaient tous d’égale hauteur, comment se fait-il qu’ils ne le soient plus. » Heo lui répondit : « C’est que je leur ai ordonné d’être l’un grand, l’autre petit, » Le maître voulait qu’il les remit dans leur premier état, mais il s’y refusa en disant : « Le sage ne mange que dans une écuelle et n’a qu’une parole ; je ne rétracterai pas ce que j’ai dit[2]. »

  1. Cf. le Thanh dong deu couvert de sueur devant Minh mang (n° XI).
  2. C’est un dicton du pays : làm con ngwoi ta, an mot doi, aoi mot loi. Un homme ne mange que dans une écuelle et n’a qu’une parole.