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missaire, pendant le bourreau à sa propre potence, et tirant la queue écarlate du diable ; lui, le Chat, il est là, tranquillement assis, apaisé, calme, superbe, regardant ces turbulences avec l’indifférence d’un sage, et estimant qu’elles résument la vie avec une impartialité sereine. Là, il est dans son élément, il approuve tout, tandis qu’à la Comédie-Française, il fait quelquefois de la critique, et de la meilleure. On se souvient que par amitié pour la grande Rachel, la plus spirituelle parmi les femmes et aussi parmi les hommes qui vécurent de l’esprit, la belle madame Delphine de Girardin aux cheveux d’or se laissa mordre par la muse tragique. Elle fit une tragédie, elle en fit deux, elle allait en faire d’autres ; nous allions perdre à la fois cette verve, cet esprit, ces vives historiettes, ces anecdotes sorties de la meilleure veine française, tout ce qui faisait la grâce, le charme, la séduction irrésistible de cette poétesse extra parisienne, et tout cela allait se noyer dans le vague océan des alexandrins récités par des acteurs affublés de barbes coupant la joue en deux, et tenues par des crochets qui reposent sur les oreilles. Comme personne ne songeait à sauver l’illustre femme menacée d’une tragédite chronique, le Chat y songea pour tout le monde, et se décida à faire un grand coup d’État. Au premier acte de Judith, tragédie, et précisément au moment où l’on parlait de tigres, un des Chats de la Comédie-Française (je le vois encore, maigre, efflanqué, noir, terrible, charmant !) s’élança sur la scène sans y avoir été provoqué par l’avertisseur, bondit, passa comme une flèche, sauta d’un rocher de toile peinte à un autre rocher de toile peinte, et, dans sa course vertigineuse, emporta la tragédie épouvantée, rendant ainsi à l’improvisation éblouissante, à la verve heureuse, à l’inspiration quotidienne, à l’historiette de Tallemant des Réaux merveilleusement ressuscitée, une femme qui, lorsqu’elle parlait avec Méry, avec Théophile Gautier, avec Balzac, les faisait paraître des causeurs pâles. Ce n’est aucun d’eux qui la sauva du songe, du récit de Théramène, de toute la friperie classique et qui la remit dans son vrai chemin ; non, c’est le Chat !

D’ailleurs, entre lui et les poètes, c’est une amitié profonde, sérieuse, éternelle, et qui ne peut finir. La Fontaine, qui mieux que personne a connu l’animal appelé : homme, mais qui, n’en déplaise à Lamartine, connaissait aussi les autres animaux, a peint le Chat sous la figure d’un conquérant, d’un Attila, d’un Alexandre, ou aussi d’un vieux malin ayant plus d’un tour dans son sac ; mais, pour la Chatte, il s’est contenté de ce beau titre, qui est toute une phrase significative et décisive : La Chatte métamorphosée en femme ! En effet, la Chatte est toute la femme ; elle est courtisane, si vous voulez, paresseusement étendue sur les coussins et écoutant les propos d’amour ; elle est aussi mère de famille, élevant, soignant, pomponnant ses petits, de la manière la plus touchante leur apprenant à grimper aux arbres, et les défendant contre leur père, qui pour un peu les mangerait, car en ménage, les mâles sont tous les mêmes, imbéciles et féroces. Lorsqu’à Saint-Pétersbourg, les femmes, avec leur petit museau rosé et rougi passent en calèches, emmitouflées des plus riches et soyeuses fourrures, elles sont alors l’idéal même de la femme, parce qu’elles ressemblent parfaitement à des Chattes ; elles font ron-ron, miaulent gentiment, parfois même égratignent, et, comme les Chattes, écoutent longuement les plaintes d’amour tandis que la brise glacée caresse cruellement leurs folles lèvres de rose.

Le divin Théophile Gautier, qui en un livre impérissable nous a raconté l’histoire de ses Chats et de ses Chattes blanches et noires, avait une Chatte qui mangeait à table, et à qui l’on mettait son couvert. Ses Chats, très instruits comme lui, comprenaient le langage humain, et si l’on disait devant eux de mauvais vers, frémissaient comme un fer rouge plongé dans l’eau vive. C’étaient eux qui faisaient attendre les visiteurs, leur montraient les sièges de damas pourpre, et les invitaient à regarder les tableaux pour prendre