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alors ne devait-il pas envier la moustache du Chat, qui se relève d’elle-même et toute seule, et ne le gêne en aucune façon dans les plus pompeux festins d’apparat !

Le Scapin gravé à l’eau-forte dans le Théâtre Italien du comédien Riccoboni a une moustache de Chat, et c’est justice, car le Chat botté est, bien plus que Dave, le père de tous les Scapins et de tous les Mascarilles. A l’époque où se passa cette belle histoire, le Chat voulut prouver, une fois pour toutes, que s’il n’est pas intrigant, c’est, non pas par impuissance de l’être, mais par un noble mépris pour l’art des Mazarin et des Talleyrand. Mais la diplomatie n’a rien qui dépasse ses aptitudes, et pour une fois qu’il voulut s’en mêler, il maria, comme on le sait, son maître, ou plutôt son ami, avec la fille d’un roi. Bien plus, il exécuta toute cette mission sans autres accessoires qu’un petit sac fermé par une coulisse, et une paire de bottes, et nous ne savons guère de ministres de France à l’étranger qui, pour arriver souvent à de plus minces résultats, se contenteraient d’un bagage si peu compliqué. A la certitude avec laquelle le Chat combina, ourdit son plan et l’exécuta sans une faute de composition, on pourrait voir en lui un auteur dramatique de premier ordre, et il le serait sans doute s’il n’eût préféré à tout sa noble et chère paresse. Toutefois il adore le théâtre, et il se plaît infiniment dans les coulisses, où il retrouve quelques-uns de ses instincts chez les comédiennes, essentiellement Chattes de leur nature. Notamment à la Comédie-Française, où depuis Molière s’entassent, accumulés à toutes les époques, des mobiliers d’un prix inestimable, des dynasties de Chats, commencées en même temps que les premières collections, protègent ces meubles et les serges, les damas, les lampas antiques, les tapisseries, les verdures, qui sans eux seraient dévorés par d’innombrables légions de souris. Ces braves sociétaires de la Chatterie comique, héritiers légitimes et directs de ceux que caressaient les belles mains de mademoiselle de Brie et d’Armande Béjart, étranglent les souris, non pour les manger, car la Comédie-Française est trop riche pour nourrir ses Chats d’une manière si sauvage et si primitive, mais par amour pour les délicates sculptures et les somptueuses et amusantes étoffes.

Cependant, à la comédie sensée et raisonnable du justicier Molière, le Chat qui, ayant été dieu, sait le fond des choses, préfère encore celle qui se joue dans la maison de Guignol, comme étant plus initiale et absolue. Tandis que le guerrier, le conquérant, le héros-monstre, le meurtrier difforme et couvert d’or éclatant, vêtu d’un pourpoint taillé dans l’azur du ciel et dans la pourpre des aurores, l’homme, Polichinelle en un mot, se sert, comme Thésée ou Hercule, d’un bâton qui est une massue, boit le vin de la joie, savoure son triomphe, et se plonge avec ravissement dans les voluptés et dans les crimes, battant le com-