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lais, nous n’en étions pas encore là à Spring Lake : le pays étant peu défriché, le sol restait humide et le blé ne murissait pas en 90 jours comme aujourd’hui. L’automne continuant à être pluvieux, la consternation devint générale.

« Pour moi, j’avais sauvé mon foin comme j’avais pu, comptant d’ailleurs sur la paille du battage pour compléter la ration des bêtes, mais quoique mon blé eût assez bien mûri, sur un terrain en pente s’égouttant facilement, je n’en partageais pas moins l’inquiétude des voisins : cette année-là n’ayant pas fait gros jardinage, ne devais-je pas tabler comme eux sur le grain ?

« En attendant, je commençais par le faire couper, ce grain : chose qui me fut facile vu que personne ne moissonnait encore ou presque ; pour 15 dollars, j’en vis la farce, puis, l’ayant mis en « quintaux », je songeai à aller quérir le sieur Gagnon, car décidément nous étions de moins en moins à l’aise dans notre cahute.

« Nous autres hommes, toujours dehors, nous ne pouvons nous rendre compte du morne ennui qui prend une femme enfermée dans un piètre logis, et nous ignorons que les petites satisfactions intérieures sont la vie de la femme. La mienne dans son constant dévouement pour moi, m’avait toujours caché ce qu’elle avait à souffrir du fait de notre mauvaise installation, mais la vérité finissait par m’apparaître : Elle jadis si enjouée, ne riait plus que rarement, et dans sa joue amaigrie, d’où les fossettes avaient disparu, un pli de misère s’était creusé qui ne laissait pas de m’inquiéter : il fallait en finir avec cette vie-là !

« J’allai donc prévenir Gagnon de venir au plus tôt, ce qu’il me promit de faire le lendemain sans faute.

« Mais avec ces joyeux Canadiens on n’est jamais sûr de rien tant ils trouvent d’occasions de s’amuser à droite ou à gauche. C’est ce que fit