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dans la crainte des gelées nocturnes qui, en quelques heures, peuvent annihiler ou presque, ses espoirs de l’année ! Avec quelle anxiété il se dirige chaque matin vers l’abreuvoir, redoutant d’y trouver de la glace et le soir, il observe le ciel souhaitant de le voir se couvrir mais pas trop, car la pluie empêcherait sa moissonneuse de fonctionner. (Ainsi le malheureux éprouve de l’inquiétude même dans les souhaits qu’il formule !)

« Et une fois son blé coupé, sera-t-il enfin tranquille ? Oh ! que nenni !

« D’abord, jusqu’au cinquième jour le grain en gerbes peut encore être affecté par une forte gelée ; ensuite, c’est la pluie qui va le menacer jusqu’au battage.

« Mais même dans la « grainerie » ce grain si coûteux est susceptible de donner des inquiétudes à son propriétaire ! S’il a été battu avant d’être entièrement sec, il chauffera et moisira, n’étant plus bon qu’à donner aux cochons (s’ils en veulent toutefois).

« Somme toute, je pense que c’est encore l’élevage qui donne le profit le plus sûr avec le moins de soucis dans ce pays ; cependant, par suite de la spéculation sur les terres, il est devenu déjà plus couteux, en attendant que les chemins de fer nous importent quelques-unes des épizooties qui sévissent aux États-Unis : le Progrès ayant aussi ses inconvénients.

« Et cependant, au fond, une telle existence a ses charmes : c’est la lutte pour la vie dans ce qu’elle a de plus noble, puisqu’elle est dirigée contre les forces de la Nature et non contre ses semblables selon l’anarchique formule darwinienne. Une fois accoutumé, on s’y passionne littéralement, quels que soient les aléas. Et puis, pour être juste, nous avons aussi, il y a deux ans, rien que par des saisons favorables, ainsi le blé, j’ai pu réaliser 6 000 dollars et mes voisins peut-être davantage.

« Mais l’année dont je vous par-