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il me fallait songer aux semailles de mon cassage sur lequel je voulais 15 acres en blé et 5 en avoine.

« N’ayant pas de semoir, je devais encore recourir à un voisin ; mais cette fois la chose s’annonçait onéreuse, car le dit voisin commençait indubitablement par se semer d’abord, et mon pauvre blé risquait fort d’être mis en terre tardivement, d’autre part, puisque je ne disposais pas des 100 dollars nécessaires alors à l’achat d’un semoir (aujourd’hui le prix serait double) force était bien d’en passer par là : n’avais-je pas déjà assez payer une trentaine de piastres pour la semence !

« Je jetais mon dévolu sur un émigrant américain qui s’était installé dernièrement dans le voisinage, amenant des États-Unis ses vaches et tout son matériel ; celui-là, se consacrant à l’industrie beurrière, ne voulait pas semer beaucoup de blé ; il me demanda de lui labourer 10 acres en échange de quoi il viendrait faire mes semailles au temps voulus.

« Je fis donc ce travail, mais j’avoue que ce n’était pas sans inquiétudes, car la sorte de voyageur à laquelle appartenait mon Yankee ne passait pas pour très scrupuleux en matière de parole donnée. Il y a entre les deux pays une population flottante qui contient un certain pourcentage de Canadiens dégénérés lesquels, parce qu’ils ont voyagé aux États-Unis et se croyant ainsi « hommes pratiques » ont rejeté délibérément les vertus de leur race jugées par eux niaiseries, Ceux-là, quand ils repassent au Canada se donnent comme américains, affectant d’ignorer le français et regardant de haut leurs ex-compatriotes traités par eux de « pea-soups ». La plupart ont traduit leur nom en anglais (Boisvert devenant Greenwood et Boileau, Drinkwater) et même lâché le catholicisme ancestral pour une de ces cocasses sectes pro-