trot des deux « gris », lorsque près d’arriver à la descente qui aboutit au bac de Saint-Louis, je vis devant moi un wagon avec un fort chargement de planches, sur lequel s’étageaient encore quantité de paquets de bardeaux et par-dessus ça une chaise où trônait le conducteur — un Anglais d’une trentaine d’années — à l’air imperturbable.
« Voilà, me dis-je, un malheureux qui risque gros, juché de la sorte, avec une pente comme celle qui l’attend : (elle avait en ce temps-là 45 degrés) la charge va certainement entraîner ses chevaux si bons qu’ils puissent être, à moins qu’il ne bloque une de ses roues ! Voyons ce qu’il va faire !
« Mon gars ne semblait pas du tout soupçonner qu’il y avait une côte dangereuse à dévaler dans ces parages : il ne parut s’en apercevoir qu’au tournant, où elle lui apparut dans toute son horreur : du coup il arrêta ses chevaux et descendit de voiture.
« Le bac venait justement d’arriver et nous attendait dans le bas. Notre Anglais, après avoir considéré le chemin en se grattant la tête, vint vers moi et dit avec un demi-sourire :
— Une mauvaise place, hein !
— Oui, répondis-je, ici il faut « chaîner » les roues !
« Et je lui montrais ma chaîne.
« Mais soit qu’il ne comprit pas, soit par paresse d’être obligé de me la rapporter, il ne la prit point, et remonta sur son siège, risquant le coup.
« Si encore il avait eu de vieux chevaux habitués à retenir une charge ; mais c’étaient au contraire deux jeunes bêtes à peine exercées ; elles n’avaient pas fait 20 pas que le chargement les emportait, les faisant s’emballer au triple galop sur cette pente dangereuse — véritable course à l’abîme — dans un vacarme infernal.
« Je regardais effaré, certain d’u-