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malheureuse femme, au lieu de le reprendre, avalait docilement toutes ses mauvaises raisons, en le plaignant volontiers même !

« Il en est toujours ainsi quand, dans son imagination, on se fait par avance un monstre du travail, lequel n’est rien cependant, car par un entrainement quotidien tout se domine aisément et l’on arrive à des résultats surprenants comme j’ai pu m’en convaincre dans la suite. D’ailleurs, qui donc m’aurait servi d’entraineur alors, puisque je n’avais plus les moyens de prendre un engagé : les rares dollars me restant devant être consacrés à l’achat de quelques sacs de farine et des effets d’hiver indispensables. Oh ! ces dernières piastres, comme elles semblaient parler !…

Vous verrez, nous avait dit Mme R… lors de notre arrivée, que le temps passe ici deux fois plus vite qu’en France ; et cette remarque était vraie, car nous nous trouvâmes bientôt à la fin de septembre sans trop savoir comment ; dans un mois ou deux ce serait l’hiver, il fallait aviser à l’hivernage.

Sur ces entrefaites, les R… devant battre leur grain mis d’avance en meules par un engagé de passage, avec l’aide de la femme, car le mari ne pouvait déjà plus faire grand’chose, nous firent demander pour les aider ; nous y allâmes tous deux le jour même.

« Le lendemain matin, le batteur arriva avec sa machine trainée par les deux paires de bœufs qui devaient alternativement l’actionner. Rien de plus comique que ces antiques « pataches » où les gerbes devaient être déliées puis étalées, le grain recueilli en sacs et la paille enlevée à la fourche ; tout cela à mains d’homme, alors qu’aujourd’hui ces diverses opérations ont lieu mécaniquement et à la vapeur. Mais leurs propriétaires n’en étaient pas moins fiers, et l’on devait les saluer chapeau bas ; surtout notre homme, sorte de matamore irlandais. Depuis, messieurs les batteurs ont dû en rabattre, car chaque fermier un peu à l’aise a maintenant sa machine :