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leurs). D’ailleurs, en ce temps-là, les hôtels n’étaient pas chers et pour un dollar par tête nous eûmes le logement et trois repas complets dans le meilleur hôtel.

« Nous y restâmes 10 jours en villégiature, nous figurant être dans une ville d’eau d’un lointain pays (toujours les illusions). Avant d’aborder les réelles misères de la vie de « settler », nous avions convenu de nous détendre l’esprit avec plénitude, sans regard à la dépense. Cette fois la mesure était sage, nous n’eûmes pas à la regretter.

« Elle me permit tout d’abord de prendre une idée assez adéquate de la mentalité du Nord-Ouest, très disparate vu la diversité de sa population. Il y a dans cette région de la Saskatchewan centrale une douzaine de races : Anglais, Allemands, Hongrois, Galiciens, Doukhobors, Ruthènes, Bukoviniens, Scandinaves, Canadiens-français, Canadiens-anglais, Métis et quelques Français. Sans doute, depuis ce temps, leurs caractéristiques se sont-elles fondues dans la masse, mais alors elles se présentaient distinctes. On voyait parfois des choses bien curieuses, ainsi certains Doukhobors par scrupule religieux, ne voulant pas employer d’animaux, s’attelaient eux-mêmes ou plutôt leurs femmes et jeunes gens sur la charrue par bandes d’une quinzaine ; d’autres, de cette secte russe connue pour sa bizarrerie d’imagination, se réunissaient une fois l’an, en costume extra-sommaire — celui de l’innocence — et partaient dans les champs à la recherche du Messie ; et mettant sur les dents la Police montée, laquelle un beau jour finit par les coffrer tous sous inculpation d’attentat à la pudeur, ce qui parut les guérir radicalement. (En Russie, sous l’ancien régime, les « Doukhobortsi » (lutteurs pour l’esprit) étaient considérés comme suspects et persécutés ; il est vrai qu’ils regardaient le tzar comme l’Antéchrist, ce qui leur valait l’anathème