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son imagination, je m’empressai de chasser ces idées spleenétiques que j’imputai à la « Folle du logis ». (Et puis, à trente ans, on a encore tant d’heureuses illusions qu’on ne peut accepter d’emblée la gravité réelle de l’existence.) D’ailleurs, un autre sujet de préoccupation m’était venu : nous entrions en pleine mer et comme la Manche est toujours agitée, il fallait parer au fameux « mal de mer » dont j’avais par avance la terreur.

« Je ne sais quelle idée n’avait pris depuis une couple d’années, sous prétexte de vagues picotements dans la région cardiaque, que j’étais atteint d’une maladie de cœur aussi. Comme le mal de mer est mauvais pour cette affection, m’étais-je prémuni d’une recette pour l’éviter.

« Le moyen le plus efficace, m’avait-on dit, est de rester sur le pont ; on le complète en réglant sa respiration sur le mouvement du navire : aspirant l’air quand il s’élève sur la vague, l’expirant quand il s’abaisse. »

« Aussi, lorsque je jugeai que les vagues commençaient à grossir, sans attendre qu’elles devinssent des montagnes — ce qui ne tarda pas, du reste — me voilà-t-il pas installé sur le milieu du pont, ouvrant et fermant mécaniquement la bouche, à la façon d’un automate, au grand amusement, naturellement, du beau monde qui l’occupait !

« Mais je n’en avais cure, affairé que j’étais « lutter pour la vie », autrement dit à prévenir la rupture d’un anévrisme… inexistant. À la fin, fatigué du jeu, et ne sentant rien venir, je me hasardai à jeter les yeux autour de moi.

« La plupart des passagers, effrayés par la mer démontée, avaient cherché refuge dans les cabines où le fameux mal les prit immédiatement — y compris la pauvre Lucile. Quant aux rares demeurants, ils étaient tous jaunes comme citrons, et regardaient l’horizon avec un air de gravité amère qui me parut encore plus cocasse par son imprévu que