Page:Lamy, Féron - Dans la terre promise, paru dans Le Soleil, Québec, du 21 nov au 17 déc 1929.pdf/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Seulement, cette année-là m’avait valu un notable surcroît de travail, notamment dans le dressage de notre premier poulain, lequel manqua de me tuer en s’emballant avec les deux gris sur la herse à disques. Mais je finis par le dompter, comme d’ailleurs ensuite toutes ses sœurs — car il faut vous dire que je ne garde que des juments afin d’avoir le bénéfice des poulains en plus du travail.


OÙ S’ACCUMULENT LES INFORTUNES


« Les années s’écoulèrent, la prospérité semblait nous sourire comme aux autres, les enfants grandissaient — cette fortune du fermier pour l’aide qu’ils lui apportent — et, oubliant la misère de ma naissance, moi prolétaire fils de prolétaires, j’en étais arrivé malgré les à-coups inévitables dans notre profession à rêver de je ne sais quelle grandeur !

« Infortuné ! j’oubliais » la mystérieuse vision de Dieppe, et que moi aussi j’étais de ceux marqués du signe du malheur, lequel retrouve toujours les siens !…

« Un jour de printemps sec, nous vîmes la montagne Mahétinas, d’où viennent ordinairement pour nous les orages, se couvrir de nuages au point d’en paraître noire comme de l’encre ; puis il sortit de là-dedans un vent terrible (sans pluie) comme jamais nous n’en avions encore éprouvé depuis que nous étions au Canada.

« Ce vent étant d’ouest, venait droit dans notre direction ; or des voisins avaient dans la matinée allumé un feu de prairie pour nettoyer. En quelques minutes, sous l’influence de l’ouragan, une mer de flammes se forma, roulant vers ma demeure.

« À ce moment, nous étions toute la famille au nord de notre terre, en train de ramasser des branches sur un morceau de cassage où je voulais mettre de l’avoine. Quoique j’eusse protégé ma maison, mes érables et graineries (dans lesquelles se trouvait